Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/13

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battîmes les préjugés du nègre avec assez de persévérance, jusqu’à ce que nous découvrîmes que notre vieil ami soupçonnait que la lune était quelque part du côté de la Guinée, et qu’il avait de l’astre des nuits à peu près l’opinion que les Européens ont de nos États, que ce n’était pas une résidence convenable pour un homme comme il faut.

Mais il est encore une autre classe de critiques dont nous ambitionnons le plus les suffrages, et dont nous nous attendons cependant à éprouver le plus la censure, — nous voulons parler de nos belles compatriotes. Il est des personnes assez hardies pour dire que les femmes aiment la nouveauté, et c’est une opinion que nous nous abstiendrons de combattre, par égard pour notre réputation de discernement. Le fait est qu’une femme est toute sensibilité, et que cette sensibilité ne peut trouver d’aliment que dans l’imagination. Des châteaux entourés de fossés, des ponts-levis, une sorte de nature classique, voilà ce qu’il faut à ces têtes romanesques. Les destinations artificielles de la vie ont pour elles un charme particulier, et il en est plus d’une qui trouve que le plus grand mérite qu’un homme puisse avoir, c’est de savoir s’élever au sommet de l’échelle sociale. Aussi combien de laquais français, de barbiers hollandais, et de tailleurs anglais qui doivent leurs lettres de noblesse à la crédulité des beautés américaines ; et nous en voyons parfois quelques-unes emportées par une espèce de vertige dans le tourbillon causé par le passage de l’un de ces météores aristocratiques sur les plaines de notre confédération. En bonne conscience, nous voyons qu’un roman où il y a un lord en vaut deux de ceux où il n’y en a pas, aux yeux même du sexe le plus noble, je veux dire de nous autres hommes. La charité nous défend de vouloir faire entendre qu’aucun de nos patriotes partage le désir de l’autre sexe, — d’attirer sur soi les regards de la faveur royale, et nous nous garderions bien surtout d’insinuer que ce désir est presque toujours en proportion de la violence qu’ils mettent à dénigrer les institutions de leurs ancêtres. Il y a toujours une réaction dans les sentiments de l’homme, et ce n’est que lorsqu’il désespère de pouvoir atteindre les raisins que le renard d’Ésope dit qu’ils sont verts.

Loin de nous cependant l’idée de vouloir jeter le gant à nos belles compatriotes, dont l’opinion seule doit assurer notre triomphe ou notre chute ; nous voulons seulement dire que si nous n’avons point mis de lord ni de château dans l’ouvrage, c’est qu’il