Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/419

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cherchoit point d’autre finesse : par ce qu’il y a des dieux et des rois dans son Amphitryon, il veut que c’en soit une, et parce qu’il y a des valets qui bouffonnent, il veut que ce soit aussi une comédie, et lui donne l’un et l’autre nom, par un composé qu’il forme exprès, de peur de ne lui donner pas tout ce qu’il croit lui appartenir[1]. Mais c’est trop déférer aux personnages, et considérer trop peu l’action. Aristote en use autrement dans la définition qu’il fait de la tragédie[2], où il décrit les qualités que doit avoir celle-ci, et les effets qu’elle doit produire, sans parler aucunement de ceux-là ; et j´ose m´imaginer que ceux qui ont restreint[3] cette sorte de poëme aux personnes illustres n’en ont décidé que sur l’opinion qu’ils ont eue qu’il n’y avoit que la fortune des rois et des princes qui fût capable d’une action telle que ce grand maître de l’art nous prescrit. Cependant quand il examine lui-même les qualités nécessaires au héros de la tragédie, il ne touche point du tout à sa naissance, et ne s’attache qu’aux incidents de sa vie et à ses mœurs[4]. Il demande un homme qui ne soit ni tout méchant ni tout bon[5] ; il le demande persécuté par quelqu’un de ses plus proches ; il demande qu’il tombe en danger de mourir par une main obligée à le conserver[6] ; et je ne vois point pourquoi cela ne puisse arriver qu’à un prince, et que dans un moindre rang on soit à couvert de ces malheurs. L’histoire dédaigne de les marquer, à moins qu’ils ayent accablé quelqu’une de ces

  1. Voyez tome III, p. 117, note i et note a.
  2. Voyez le chapitre vi de la Poétique.
  3. Dans les éditions de 1654 et de 1656, ce mot est écrit rétraint. Voyez tome I, p. 35, note a, et p. 54, note i.
  4. Var. (édit. de 1650 in-8o) : qu’aux incidents de sa vie et de ses mœurs.
  5. Voyez tome I, p. 56.
  6. Voyez tome I, p. 65.