Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 7.djvu/151

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quelle M. Hume était défié de produire les lettres que M. Rousseau lui avait écrites. On assure que ce défi a été répété dans les papiers publics de Londres. En conséquence, M. Hume s’est déterminé à rendre publique toute sa correspondance avec M. Rousseau. Elle vient de paraître sous le titre de Exposé succinct de la contestation qui s’est élevée entre M. Hume et M. Rousseau, avec les pièces justificatives, brochure in-12 d’environ cent trente pages. C’est M. Suard qui a été le traducteur et l’éditeur de M. Hume[1]. Je ne sais pourquoi il dit dans son Avertissement que M. Hume, en rendant ce procès public, n’a cédé qu’avec beaucoup de répugnance aux instances de ses amis. Sans doute qu’il parle des amis de M. Hume en Angleterre : car pour ses amis en France, j’en connais plusieurs qui lui ont écrit exprès pour le dissuader de rendre cette querelle publique. En effet, si vous êtes forcé de plaider votre cause devant le public, je vous plaindrai de tout mon cœur ; si vous vous avisez de vous soumettre sans nécessité à sa décision, je vous trouverai bien sot. Comptez que sa malignité ne cherche qu’à rire à vos dépens, et qu’il lui est fort indifférent de rendre justice à qui il appartient. Cette indifférence n’est pas même si opposée à l’équité naturelle qu’on ne puisse la justifier : car de quel droit vous croyez-vous un personnage assez important pour me faire perdre mon temps à vos tracasseries ? Si vous avez des procès du ressort des lois, faites-les décider au Châtelet ; si des procédés nobles et généreux vous ont attiré une méchante querelle que les lois ne peuvent ni ne doivent punir, ne dirait‑on pas que vous êtes bien à plaindre ? Sachez vous contenter d’avoir joué le beau rôle, et apprenez à mépriser la vaine opinion des autres. Mais il est écrit que chacun se battra avec les armes de son métier, et que les auteurs videront leurs querelles à coups de plume, comme les militaires à coups d’épée. Les premiers en sont plus ridicules, et M. Hume, qui jusqu’à ce moment avait toujours résisté à la manie de ferrailler, s’est enfin enrôlé dans la confrérie, de peur d’attraper un legs dans le testament de mort de Jean-Jacques. Il y a apparence que tant d’honnêtes gens seront calomniés dans ce testament que

  1. Mme du Deffand (voir sa lettre à Horace Walpole du 20 octobre 1766, dans l’édition de M. de Lescure, t. I, p. 382), dit que tout le monde reconnaissait d’Alembert dans la préface de ce petit volume.