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AVRIL 1767.

Je ne suis pas bien rigide, et j’aime à rire comme un autre ; mais si je suis jamais nommé conservateur des mœurs publiques, j’avertis que je punirai sévèrement tout avocat qui osera s’égayer indiscrètement et tourner en ridicule la profession du dernier des citoyens. Dans un État bien policé, toute profession, je ne dis pas utile, mais tolérée, doit être à l’abri de la satire. Cela n’empêche pas que les ridicules de chaque profession ne puissent être exposés sur la scène, à laquelle je conserverai certainement une liberté illimitée ; mais les tribunaux ne sont pas des salles de spectacle, et quand on plaide contre un homme en l’appelant par son nom et son état, il ne doit avoir d’autres ridicules que ceux qui résultent de sa conduite dans le procès dont il s’agit. La différence est sensible. Je parie que M. Costel rit comme moi des plaisanteries sur les apothicaires, en voyant le Malade imaginaire, le Légataire universel et Pourceaugnac, et je parie qu’il n’a pas ri comme moi du mémoire de M. Coqueley. Je sais bien que l’honneur d’un apothicaire et celui d’un maréchal de France ne doivent pas se ressembler ; mais si jamais je suis nommé conservateur des mœurs publiques, je conserverai l’honneur de l’apothicaire avec autant de soin que celui du maréchal de France, en vertu de la certitude que j’ai que chaque profession doit avoir son honneur dans un État bien ordonné, que les hommes ne sont si mauvais que parce qu’on les abaisse, et qu’on ne sait se servir avec eux du ressort de l’honneur, le plus général, le plus sur et le plus puissant de tous.

L’Homme sauvage, histoire traduite par M. Mercier, volume in-12 de trois cents et quelques pages. Cette prétendue histoire est celle d’un jeune homme dont le père, chef d’un peuple d’Amérique, après avoir été longtemps en proie à la perfidie et à la cruauté des Espagnols, se sauva avec son fils et sa fille encore enfants, et un fidèle esclave, dans un désert où il éleva ses deux enfants dans la simple loi naturelle. Ainsi le frère, parvenu à l’âge de puberté, devient l’époux de sa sœur. Un Européen survient et trouble le repos de cette heureuse famille, et lui fait quitter son asile après la mort du père. Ce roman a fait un peu de sensation, parce que le déisme y est fortement prêché. Il a été imprimé avec approbation, et quelques jours après sa publication il a été défendu. Je ne sais si l’on s’en