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JUILLET 1768.

bras par les boulets de canon, et il quitta son froc. Il passa ensuite au service séculier de la Compagnie des Indes, et parvint successivement à la qualité de subrécargue et à la réputation d’un homme d’un rare mérite. Après la dernière guerre, le gouvernement crut devoir faire usage de ses talents, et lorsque le roi reprit, il y a quelques années, les îles de France et de Bourbon de la Compagnie des Indes, il fut envoyé dans ces îles comme intendant.

La brochure qu’on a publiée sous le titre de Voyages d’un philosophe contient deux de ses Mémoires adressés à l’administration de la Compagnie des Indes, ou peut-être à la Société d’agriculture de Lyon, pour lui rendre compte de ses observations politiques faites pendant son voyage de France à la Chine. On les a très-bien intitulés Voyages d’un philosophe, parce que M. Poivre a en effet le coup d’œil simple et juste d’un philosophe. Je ne sais pourquoi le titre promet des observations sur les mœurs et les arts de l’Amérique, l’auteur ne voyage qu’en Afrique et en Asie ; je crois même qu’il n’a jamais été en Amérique. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il n’en parle qu’en passant pour désapprouver la traite des nègres, et pour observer que l’Amérique méridionale est couverte de marécages, de ronces et de forêts, et que l’Amérique septentrionale est habitée par de petits peuples sauvages, misérables et sans agriculture. Il est assez singulier, pour le dire en passant, que l’auteur n’ait pas cru que les colonies anglaises de cette partie du monde méritassent d’être remarquées. Ces colonies, si florissantes aujourd’hui, ont déjà donné bien de l’embarras à la mère patrie ; et si le gouvernement d’Angleterre ne sait pas user de la plus grande sagesse, de la plus grande modération, de la plus grande fermeté, elles lui tailleront dans peu une fâcheuse besogne.

M. Poivre, convaincu qu’un voyageur a rarement le temps et les moyens de faire assez de remarques pour se former une idée juste du gouvernement, de la police et des mœurs des peuples qu’il visite, s’en est tenu à une méthode aussi infaillible que simple pour asseoir ses jugements. Partout il a promené ses yeux sur les marchés publics et sur les campagnes : de la liberté et de l’affluence des uns, de la richesse ou de la pauvreté des autres, il a conclu sur la prospérité ou la misère des peuples. C’est sous ce point de vue qu’il vous conduit depuis