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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

les côtes occidentales de l’Afrique jusqu’à l’extrémité de l’Asie, d’une manière aussi intéressante qu’instructive, mais d’ailleurs très-serrée et extrêmement concise : on souhaiterait qu’un observateur aussi sage se fût permis plus de détails.

Quand on lit ce que l’auteur a écrit sur nos îles de France et de Bourbon, quand on le compare à ce que rapporte l’histoire de nos autres colonies, et même à ce qui s’est passé à la Cayenne de notre temps, on demeure convaincu que Dieu n’a pas départi à la nation française le talent et l’esprit de former des colonies. Ce peuple, doué de tant de qualités précieuses et aimables, n’a rien de ce qu’il faut pour réussir dans cette entreprise ; sa vivacité le porte à faire en un jour ce qu’il ne faudrait faire qu’en une année. Il détruit, il abat, il élève, il opère, et quand il ne reste plus rien à faire il commence à réfléchir ; alors il remarque qu’il a presque fait autant de sottises que d’opérations, et il se dégoûte. Nulle patience, nulle persévérance dans un plan ; le mauvais succès le rebute et lui fait tenter autre chose. Cette légèreté et cette inconstance qu’on lui reproche, cet ennui qui le gagne, sont une suite nécessaire de l’ardeur et de la vivacité du premier moment ce feu est trop violent pour durer. Ce qui est arrivé, au rapport de M. Poivre, dans l’île de France, est unique dans son genre. À peine le colon français y est-il établi qu’il se met à défricher avec une ardeur incroyable ; en conséquence il brûle les forêts, sans laisser subsister aucun bois, de distance en distance, dans les défrichements. Quand cette belle opération est faite, on commence à s’apercevoir que les pluies, qui sont le seul et le meilleur amendement que la terre puisse recevoir dans cette île, suivent exactement la direction des forêts, s’y arrêtent, et ne tombent plus sur les terres défrichées, qui n’ont d’ailleurs plus aucun abri contre la violence des vents, si funestes aux récoltes dans ces climats. M. Poivre observe que les Hollandais, qui n’avaient point de bois au cap de Bonne-Espérance, y en ont planté pour garantir leurs habitations, et que les Français en ont trouvé l’île de France couverte et l’ont détruit pour former une colonie stérile et exposée à l’inclémence des vents. C’est que le Hollandais, en débarquant dans l’île de France, aurait d’abord mis le nez en l’air et, avant de mettre le feu ou la hache aux arbres, il aurait su d’où venaient le vent et la pluie ; mais le Français, confiant dans son