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JUILLET 1768.

reproche à l’auteur anglais de l’avoir pillé pour le critiquer ensuite mal à propos.

De telles gens il est assez :
Priez Dieu pour les trépassés.

Le Mariage caché, interrompu également à l’occasion de la mort de la reine, n’a pas encore paru imprimé, mais en revanche on a publié une traduction du Mariage clandestin, comédie en cinq actes, par MM. Garrick et Colman. On dit cette traduction de Mme Riccoboni. Si cela est, elle a joué un mauvais tour à son amie Mlle Thérèse, qui demeure, ce me semble, chargée ou du moins véhémentement soupçonnée du péché du Mariage caché. Le traducteur dit qu’il ne publie sa traduction que pour mettre le public en état de juger du peu de ressemblance qu’il y a entre le Mariage clandestin anglais et le Mariage caché français. Il a tort. On conviendra, si l’on veut, qu’il n’y en a aucune entre les auteurs du côté du talent, mais cela n’empêche pas que la pièce française ne soit exactement prise de la pièce anglaise. L’auteur a seulement eu le talent de faire des changements sans esprit et sans goût, de rendre froidement et platement ce qui en anglais est plein de verve et d’un excellent comique. La pièce anglaise est vraiment une comédie excellente, et je ne suis point étonné du succès qu’elle a eu à Londres. Le rôle de milord Ogleby, que l’imitateur français a changé en Durval, marin insipide, est très-piquant dans l’original. Ce n’est point du tout, comme on me l’avait dit, un gentilhomme campagnard et sottement vain ; c’est un seigneur de la cour, des plus élégants, vieillard exténué par ses bonnes fortunes et surchargé d’infirmités, mais se croyant toujours appelé à la conquête des femmes. Il est très-naturel que milord Ogleby s’imagine qu’il a inspiré de la passion à une pauvre petite fille secrètement mariée, qui recherche sa protection, et très-plat que M. le marin Durval ait la même idée. Ce milord Ogleby est le duc de Richelieu de l’Angleterre. Il a un lecteur, M. Canton, Suisse qui est courtisan et flatteur. Un Suisse flatteur, cela est neuf au théâtre ; c’est un rôle très-plaisant et imaginé avec beaucoup d’esprit. Il n’y a pas un seul rôle dans cette pièce qui ne soit d’un très-bon comique. Mais je n’aime pas qu’on