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AOUT 1768.

tête que le reste, mais qui ne sont pas en assez grand nombre pour dédommager de l’ennui des redites : voilà à peu près ce que vous trouverez dans cette Contagion sacrée, qui est écrite avec la plus grande hardiesse.

M. l’abbé Coyer vient de nous gratifier d’une petite brochure de quatre-vingt-seize pages grand in-8°, intitulée Chin-ki, histoire cochinchinoise qui peut servir à d’autres pays. Chin-ki est un honnête et riche laboureur d’une des plus belles provinces de la Cochinchine. Il a deux femmes et vingt-trois enfants qui font sa richesse et son bonheur, mais les temps changent bientôt. On accable la Cochinchine d’impôts, les publicains s’en emparent et la travaillent en finance. On invente et multiplie des vexations de toute espèce, et ce royaume, naguère si florissant, tombe bientôt dans la langueur qui précède et annonce la mort. Ce n’est pas que le roi soit méchant : au contraire, il est bon et il laisse faire tout ce que l’on propose dans son conseil. Pour remédier aux maux déjà irréparables, on imagine de partager le royaume entre des seigneurs territoriaux et l’on introduit le lien féodal ; bref, la Cochinchine passe par toutes les révolutions qu’a éprouvées la France, et les Cochinchinois se trouvent abîmés. Chin-ki, si laborieux, si riche, si heureux, grâce aux collecteurs des deniers royaux, aux commis des finances, est réduit à la mendicité. Dans cet état, il prend le chemin de la capitale avec un de ses fils et une de ses filles, afin de les mettre dans quelque profession lucrative dans un temps où celle des laboureurs est devenue une calamité pour ceux qui l’exercent. Chin-ki parcourt avec son fils les différentes professions des arts mécaniques, et partout il trouve des règlements sans nombre qui empêchent que son fils puisse être reçu dans aucune profession honnête. Il éprouve les mêmes difficultés à l’égard de sa fille, et, après avoir épuisé toutes ses ressources, il se trouve trop heureux d’établir son fils comme petit valet des valets d’un grand seigneur, et sa fille comme vendeuse sur le boulevard de cette espèce de pâtisserie qu’on appelle croquet ou plaisir des dames. Après ce bel établissement, le père s’en retourne content dans son village, où il a bientôt la douleur d’apprendre que sa fille est tombée dans le plus bas libertinage et que son fils est devenu un scélérat. Tous les autres enfants, obligés de renoncer également à la charrue, tombent dans les mêmes malheurs et dans le