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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

longue absence, il se serait logé à l’autre extrémité de Londres, pour être loin d’un objet dont il connaît et redoute le pouvoir ; des liaisons d’affaires l’en auraient rapproché malgré lui : alors il aurait succombé, et, profitant de la passion de Béverley pour le jeu, il aurait formé et exécuté, en dépit de ses remords, le projet de ruiner Béverley par le jeu, dans l’espérance, après s’être rendu maître de sa fortune, de le devenir aussi du cœur de sa femme. En conséquence de ce plan, il n’aurait guère quitté Mme Beverley pendant tout l’enchaînement des désastres de son mari, c’est-à-dire pendant tout le cours de la pièce, et elle aurait pu le regarder comme l’ami le plus essentiel et le plus vrai. À la fin du quatrième acte, lorsque Béverley est conduit en prison, et que tout est désespéré, Stuckely aurait risqué, pour la première fois, de parler de sa passion à Mme Beverley, avec toute la chaleur d’un feu longtemps retenu. Sa déclaration eût été reçue avec l’horreur qu’elle devait inspirer à une femme vertueuse. Alors Stuckely, voyant tout son édifice d’iniquités s’écrouler et tomber en ruine, aurait pu, dans son désespoir, jeter le portefeuille qui renferme toute la fortune perdue de Béverley aux pieds de sa femme. La restitution ainsi faite, il aurait pu être tué en duel par Leuson, dans l’intervalle du quatrième au cinquième acte. Au commencement de cet acte, Béverley en prison se serait empoisonné, et aurait appris trop tard la cause et la fin de ses malheurs. Mais pour exécuter une intrigue aussi fortement nouée, il faut l’avoir conçue. Tout l’usage que M. Saurin a osé faire de ce conseil se réduit à un peu de passion qu’il a donnée à Stuckely pour Mme Béverley, et dont il n’est question que vaguement dans un monologue. Cette passion est une pauvreté de plus dans la pièce de M. Saurin.

Nous avons dans notre histoire la Journée des Dupes ; on pourrait appeler cette tragédie la pièce des Dupes. Presque tous les personnages de M. Saurin le sont, sans en excepter ce Stuckely, si platement méchant ; mais les dupes ne sont pas théâtrales, du moins dans la tragédie.

Un mauvais plaisant a dit qu’un Anglais, travaillé du spleen, était arrivé à Paris le jour de la première représentation du Joueur ; que ses médecins lui avaient prescrit le voyage de France, comme un remède contre sa mélancolie ; mais que, s’étant rendu à la Comédie-Française dans l’espérance de rire,