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DISCOURS


que la parole parlée ; & elle put ſe prononcer, lorſqu’on donna à chacun de ſes Élémens le nom même de la choſe qu’elle peignoit ; tandis que chez ceux qui ne connurent pas cette pratique, la Langue parlée & la Langue écrite n’eurent pas la même correspondance ; l’une ne fut que pour les oreilles, & l’autre que pour les yeux ; notre Langue écrite ſert, au contraire, tout à la fois pour les yeux & pour les oreilles ; effet du génie de ceux qui ſurent ſaiſir cette voie que leur offroit la Nature pour le bonheur des ſociétés. Dès-lors, en effet, ce qui les intéreſſe eſſentiellement, n’étoit plus confié à une tradition infidelle : les fondemens de leur proſpérité ſe tranfmettoient invariablement d’âge en âge, & le paſſé étant toujours préſent à chaque Génération, on profitoit à chaque inſtant de l’expérience de tous les ſiécles.

C’eſt ainſi que dans cet Ouvrage nous profiterons de ceux qui furent compoſés il y a trois, quatre, & cinq mille ans, qui ont ſurvécu aux Peuples pour leſquels ils furent faits, qui nous font voir l’eſprit dont ils étoient animés, & juſques à quel point ils avoient porté leurs connoiſſances.

À ces divers Langages ſe joint encore celui du geſte ; donné également par la Nature, il leur prête une énergie dont ils ſeroient privés ſans ce ſecours : il contribue ſurtout à perfectionner le Langage d’analogie, qui ayant un raport moins direct avec la Nature, & ne l’imitant que par réflexion, a beſoin d’un ſecours très-actif pour ne donner lieu à aucune mépriſe : tandis que la Langue d’imitation s’explique ſi naturellement par le geſte, qu’on peut dire qu’elle eſt elle-même une eſpèce de geſte.

L’on peut auſſi former du geſte un Langage aſſujetti aux mêmes principes, à la même marche, aux mêmes régles que