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« Où allez-vous, pour Dieu ? demanda-t-il.

— Au rocher Bayard, arrêter les Cosaques ! répondit Cyprien, l’aîné des Guinguet.

— Mais vous les exciterez ! reprit Benoît Flaupart avec terreur, et vous vous ferez tuer ! Vous nous ferez tuer tous, mes enfants !

Cyprien regarda le maire d’un air de reproche :

« Les Guinguet ne connaissent que leur devoir ! » fit-il.

Et tous trois, superbes, continuèrent leur route.

Ils étaient terribles, et drôles… cependant.

De-ci de-là des persiennes s’ouvraient.

« Où vont donc les Guinguet ? » se demandait-on.

Il était neuf heures quand ils arrivèrent au rocher Bayard.

Là, ils se firent apporter des chaises, allumèrent du feu ; et ayant sorti d’un gros sac, que le cadet portait, une ample provision de victuailles, ils se mirent à manger.

Ils mangèrent longtemps, a-t-on raconté, et burent aussi.

La collation finie, Cyprien dit à ses frères : « Dormez, vous autres ; moi, je veillerai ! »

Il alla s’installer derrière une façon de guérite qu’on voit encore au revers du rocher et s’assit le fusil dans les jambes.

La nuit était belle. Pas de bruit. Une lune superbe.

De son poste d’observation, Cyprien entendait ronfler ses deux cadets, et ne pouvait s’empêcher de penser, voyant leur impassible courage :

« Vrai Dieu ! de quel bon sang nous sommes ! »

Et tranquillement il fumait.

La nuit passa sans alerte.

L’aube parut.

Tout à coup Cyprien vit pointer deux cavaliers sur la route qui vient de France par les hauteurs.

Il regardait.

Bientôt, dans un tourbillon de poussière, une masse sombre au galop monta sur l’horizon.

« Jacques ! Jean ! cria Cyprien, dont le cœur battait.

Les deux héros ouvrirent des yeux lourds encore de sommeil.

— Quoi ? demandèrent-ils mal éveillés.

— Ils viennent !