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— Ils viennent ?… On les voit ?… interrogèrent en même temps Jean et Jacques, glacés de peur.

— Oui ! on les voit !

Tous trois gagnèrent le poste d’observation.

On les voyait, en effet.

Déjà la route en était couverte ; il en montait toujours.

« L’affaire sera rude ? » fit Cyprien.

Jacques et Jean ne répondirent pas ; ils avaient affreusement pâli.

Ils contemplaient, pleins d’émoi, cette masse sombre où couraient, comme des étincelles, de vifs éclairs d’acier…

Tout à coup une trompe venant du fort poussa dans l’air un long mugissement d’effroi ; et presque aussitôt le gros bourdon de Notre-Dame se mit à sonner le tocsin, à coups redoublés, comme un cœur qui bat d’angoisse.

« Ce sera terrible ! » dit encore Cyprien.

Puis, après un moment : « C’est Forest qui corne au fort, je serais curieux de savoir si, de là-bas, il nous verra mourir. »

Jacques et Jean ne soufflaient mot, l’idée de mourir les avait mis en sueur froide ; et la consolation de mourir, contemplés par Forest, leur paraissait une compensation légère.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

À l’heure ou le crieur public annonçait que les Alliés venaient châtier Dinant, les trois frères Guinguet, enfouis au fond de leurs caves, procédaient à un classement plus méthodique de leurs vins de Bourgogne.

Ce fut seulement vers les cinq heures, en remontant au jour, qu’ils apprirent la terrible nouvelle.

Ils étaient émoustillés. Et cette idée leur vint qu’il serait beau que les trois frères Guinguet s’en allassent, au rocher Bayard, mourir en défendant la ville.

Cyprien était ardent et brave ; Jacques et Jean, plus pusillanimes, négligeant d’envisager les mortels dangers d’une semblable équipée, s’étaient laissés éblouir par les côtés exaltés de cette décision suprême.

Et les trois frères Guinguet s’étaient armés et étaient partis pour les Termopyles.


« Qu’en voilà ! qu’en voilà ! » s’exclamait Cyprien.

Les cosaques avaient fait un temps de trot pour dévaler la