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Il était pâle, il songeait, il se voyait sanglant, foulé aux pieds des chevaux, scalpé ! peut-être… scalpé !! De voir trembler ses frères, il tremblait aussi ; ses jambes flageolaient, il prit une des trois chaises et s’assit.


Les deux cadets firent de même.


Cependant, les cosaques n’étaient plus qu’à vingt pas.

L’officier qui commandait l’avant-garde s’étonna de voir là devant lui, ces trois hommes, tout armés, assis bien à l’aise et fermant passage ; il détacha l’un des cavaliers, qui partit au trot.


Cyprien, voyant venir le cosaque, prit un air farouche ; et tous deux se regardèrent menaçants.

Mais derrière Cyprien les deux frères cadets présentaient les armes et faisaient de la tête des signes « bonjour » et des risettes très engageants, afin de corriger le mauvais effet que pouvait produire l’attitude provocatrice de l’aîné.


En présence de cet accueil contradictoire, le cavalier, perplexe, ne sut que faire et tourna bride, rejoignant le détachement, qui s’était arrêté.


On pourparla quelques minutes dans un groupe chamarré d’or ; puis on vit s’avancer un gros major moustachu.

Quand il vit venir, le sabre au poing, le gros major moustachu, Cyprien prit peur ; il se tourna vers Jacques et Jean, qui s’effaçaient de plus en plus.

« Allons ! vous autres, dites, faut-il les laisser passer ! »

« Oh ! oui ! va, Cyprien, » répondirent-ils à voix basse et d’un ton de prière.

Cyprien remit son fusil au port d’arme, les yeux baissés, n’osant dévisager le major.

« Que veut dire ceci ? » demanda celui-ci en russe.

Les Guinguet ignoraient les langues slaves.

« Nous sommes les trois frères Guinguet, » dit Cyprien d’un air modeste.

Le major ne comprit pas.

« Alors reprit-il toujours en russe, vous êtes la députation envoyée par la ville ? »

« Demande-lui s’il ne parle pas wallon ? » souffla Jacques.