Page:Créquy - Souvenirs, tome 6.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’extraordinaire ou d’inconséquent de la part d’un médecin calviniste, et surtout d’un homme de Genève.

À partir de ce moment-là on ne le laissa causer avec personne ; on ne faisait que le montrer à ceux qui venaient pour le voir ; il essayait de sourire et faisait une grimace accompagnée d’un signe de tête aux personnes qu’il voyait avec plaisir, et pour témoigner que les autres lui déplaisaient, il se mettait à pousser des cris affreux !!! Quand il avait été question de lui donner une garde-malade, il avait demandé qu’elle fût jeune et jolie : c’était une grande et belle fille âgée de vingt ans ; mais au commencement du carême où l’on entrait, Voltaire exigea qu’elle ne fît pas maigre. Il se divertissait à lui faire rompre son jeûne au moins cinq à six fois par jour ; il ne voulait jamais prendre une tasse de bouillon sans en faire boire à cette fille qui finit par s’en impatienter et par le planter là. C’était un monstre, disait-il alors, une scélérate, un jésuite en cornette ; et, sans aucun doute, elle aurait fini par l’étrangler ! Il allait jusqu’à soutenir que cette fille était un garçon que les envieux de sa gloire avaient travesti pour l’empoisonner dans un clystère, et quand son auditoire était des plus bénévoles, il ajoutait que M. le Lieutenant-Général de police l’en avait fait prévenir.

Cependant la prudence de M. Tronchin fut alarmée de quelques paroles échappées à M. de Malesherbes. Il avait été question de l’exiler de Paris, à raison de sa clinique anti-canonique ; et voilà M. Tronchin qui fait volte-face à ses interdictions,