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MÉMOIRES

lions qu’écrivirent de savans jurisconsultes pour la justifier. Ces dissertations, triste monument de la flatterie des gens de lettres envers les rois, sont la honte de leurs auteurs sans être l’apologie de celle qui eu fut l’objet. Je suis fàclié pour la mémoire de Léibnitz et pour l’humanité, de trouver le nom de ce grand homme parmi les défenseurs d’un assassinat ; et je suis encore plus surpris de l’injustice qu’il fait à la cour de France, en assurant que si on y fut blessé de l’action de Christine, c’est uniquement parce qu’on n’y avait plus le même goût pour elle. La postérité trouvera bien étrange qu’au centre de l’Europe, dans un siècle éclairé, on ait agité sérieusement, si. une reine qui a quitté le trône, n’a pas conservé le droit de faire égorger ses domestiques sans autre forme. Il aurait fallu demander plutôt si Christine sur le trône même de Suède aurait eu ce droit bar-Lare : question qui eût bientôt été décidée au tribunal de la loi naturelle et des nations. L’État, dont la constitution doit être sacrée pour les monarques, parce qu’il subsiste toujours, tandis que les sujets et les rois disparaissent, a intérêt que tout homme soit jugé suivant les lois. C’est l’intérêt des princes même, dont les lois font la force et la sûreté. L’humanité leur permet quelquefois d’en adoucir la rigueur en pardonnant, mais jamais de s’en dispenser pour être cruels. Ce serait faire injure aux rois que d’imaginer que ces principes pussent les offenser, ou qu’il fallût même du courage pour les réclamer au sein d’une monarchie. Ils sont le cri de la nature. Des maximes si vraies et si bien gravées dans le cœur de tous les hommes, nous dispensent de décider à quel tribunal Christine descendue du trône devait faire juger Monaldeschi ; si c’était à celui de la Suède, ou de Rome, ou de la France. Peu importait à quel tribunal, pourvu que ce ne fût pas au sien.

Il parait encore moins essentiel d’examiner quelle a pu être la raison de l’assassinat de Monaldeschi ; peut-être même est-il nécessaire pour l’honneiir de Christine de tirer le rideau sur ce mystère : il serait affreux qu’une intrigue d’amour en eût été la cause, comme quelques auteurs l’ont écrit. L’action de Christine n’a pas besoin d’un tel motif pour être odieuse.

Dégoûtée de la France, où ce meurtre avait inspiré de l’horreur pour elle, elle voulut passer en Angleterre (en 1657) ; Cromwel, qui gouvernait alors ce beau royaume avec un despotisme beaucoup plus grand que celui dont il avait fait punir son roi, ne jugea pas à propos de la recevoir. Cet homme, aussi liabile politique que citoyen dangereux, craignait d’exposer îe secret de ses affaires aux regards perçans d’une femme qui passait pour intrigante ; il ne pouvait d’ailleurs se résoudre à