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SUR CHRISTINE

voir une reine qui avait quitté trois couronnes pour une religion qu’il baissait, et ne jugeait pas à propos d’employer l’argent de l’Angleterre à une réception si inutile. Aussi Christine se dégoûta bientôt de ce voyage ; elle ne fit que celui de l’Académie Française, oii l’on n’eut rien de meilleur à lui donner qu’une traduction faite par Cotin de quelques vers de Lucrèce contre la Providence, auxquels le même opposa, dit Patru, une vingtaine de vers pour la soutenir. Il n’est pas inutile de remarquer que dans la même assemblée, on lut devant Christine quelques articles du dictionnaire auquel l’Académie Française travaillait dès lors ; on tomba sur le mot jeu, dans lequel se trouvèrent ces mots : Jeux de princes, qui ne plaisent qu’à ceux gui les font.

Enfin la reine de Suède retourna à Rome en 1658, oii elle se livra, dans la douceur de l’oisiveté, à son goût pour les arts et pour les sciences, principalement pour la chimie, les médailles et les statues. Le cardinal Azzolini, qui prit pour elle un goût que la médisance ou la calomnie n’a pas épargné, rétablit le dérangement qui se trouvait alors dans les finances de Christine, tant par ses profusions, que par le peu d’exactitude de la Suède à lui payer la pension dont on était convenu. Ce cardinal Azzolini resta son ami et son confident jusqu’à sa mort. Aussi disait-on qu’il n’y avait que trois hommes qui eussent arraché l’estime de la reine, le prince de Condé par son courage, le cardinal de Retz par son esprit, et le cardinal Azzolini par ses complaisance. Au reste, à en juger par le caractère de Christine, il ne paraît pas qu’elle ait été fort portée, comme on l’a cru, au libertinage, ou même à l’amour. Une vanité assez mal entendue était son caractère dominant.

Elle ne fut pas long-temps à Rome sans avoir des démêlés avec Alexandre VII qui occupait alors le Saint-Siège. Ce pape, homme vain et minutieux, avait déjà voulu se faire honneur de la conversion de cette princesse, dont il n’avait reçu qu’une seule lettre quand une fois elle eut pris sa résolution. La part que Christine paraissait prendre aux intérêts de la France, mécontenta le pontife qui n’aimait pas Louis XIV ; mais la reine qui connaissait l’esprit d’Alexandre VII et qui avait intérêt à le ménager, allait de temps en temps calmer ce pape en recevant sa bénédiction dans les processions publiques ; elle alla jusqu’à se loger dans un couvent, pour donner moins d’ombrage au pape, qui ne laissa pas de la faire épier par des ecclésiasticjues et des moines. Ce séjour dans un couvent fit croire qu’elle pensait à se faire religieuse. La reine Christine, écrivait a cette occasion Guy Patin, fora toute sorte de métiers dans sa vie, si elle ne meurt bientôt ; elle a déjà joué bien des personnages différens, et fort