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MÉMOIRES

éloignes de sonpremier état, lorsqu’on l’appelait la dixième Muse et la Sibylle du septentrion. Il est difficile de croire qu’une princesse, indignée contre le souverain pontife, ait voulu resserrer d^une manière si étrange les liens qui la mettaient dans la dépendance de Rome. Enfin les sujets de mécontentementqu’elle avait, ou croyaitavoir, augmentèrent au point que, le roi Charles Gustave étant mort, elle pensa à retourner en Suède (en 1660 et 1661). Ce voyage, dont on ignora les vrais motifs, fit beaucoup raisonner les politiques, mais ne fut pas heureux. Les anciens sujets de Christine oubliant tout ce qu’elle avait fait pour eux, et tout l’amour qu’ils lui avaient témoigné autrefois, ne virent en elle qu’une femme qui les avait quittés pour aller vivre dans une terre étrangère, au sein d’une religion qu’ils regardaient comme funeste à la Suède. La messe, qu’elle faisait dire assez librement dans son palais, ne déplut pas beaucoup à la noblesse, occupée de guerres et d’intrigues ; mais elle offensa les deux ordres extrêmes du royaume, le clergé dont elle bravait l’autorité, et l’ordre des paysans dont elle choquait les préventions ; ces deux ordres refusèrent de lui assurer ses revenus, persuadés qu’il fallait croire à Luther pour être digne de vivre. Christine eut beau dire que comme souveraine elle n’était responsable de ses actions à personne ; on lui répondit qu’elle n’était pas la maîtresse d’annuler les constitutions fondamentales du royaume. Les États firent abattre sa chapelle et congédièrent les aumôniers italiens qui l’avaient suivie. Elle n’était plus reine que de nom, dit un historien, et celui qu’elle avait fait roi, et qui se vantait d’avoir tout de Dieu et de Christine, n’était plus.

Il y a apparence qu’elle se fût vengée de cette persécution par une autre, si elle eût réussi dans le dessein qu’elle montra pour lors de remonter sur le trône ; mais ce dessein n’aboutit qu’à un second acte de renonciation auquel on l’obligea. Elle retourna donc à Rome ; en passant par Hambourg, elle y vit le célèbre Lambecius, qu’elle consola, par l’accueil qu’elle lui fit, des persécutions qu’il essuyait alors de la part des théologiens protestans de cette ville ; ces persécutions allèrent au point qu’il se fit catholique pour se justifier de l’athéisme dont ses ennemis l’accusaient, c’est-à-dire, quil changea de religion pour prouver quileii avait une.

Le siège de Candie, dont les princes chrétiens étaient alors spectateurs sans daigner secourir cette ville, ne parut pas aussi indifférent à la reine de Suède ; elle se donna de grands niouvemens pour procurer aux Yénifiens des secours d’argent et de troupe ; et ces mouvemens, quoique inutiles, furent si grands, qu’on les soupçonna d’être intéressés ; tant la malignité humaine