Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
141
SUR CHRISTINE

est habile à empoisonner sans fondement les actions les plus louables.

Peu de temps après, en 1662, arriva la fameuse affaire des Corses, dont le roi de France tira une satisfaction si humiliante pour la cour de Rome. Christine dans cette affaire eut tout à la fois l’honneur d’intercéder auprès du roi pour le pape qu’elle n’aimait pas, et le plaisir d’intercéder inutilement. Le pape qui aurait été fâché de lui devoir l’indulgence du roi, et qui peut-être pénétrait dans ses motifs, se crut quitte de tout envers elle, parce qu’elle n’avait point réussi ; il continua à la ménager si peu, que lasse enfin de ne recevoir du souverain pontife que des dégoûts et des absolutions, elle prit sérieusement le parti de retourner encore en Suède, en 1663. Pendant qu’elle faisait sonder les États du royaume sur cette démarche, elle s’occupait dans Rome à la conversation des gens de letires, et s’égaj’ait quelquefois à leurs dépens. Elle fit entre autres frapper une médaille singulière, pour se divertir de l’embarras que leur causa la légende. Je ne sais si ce plaisir est fort convenable. Un prince a tant d’intérêt d’aimer et de favoriser les lettres, qu’il est moins fait que personne pour tourner en ridicule ceux qui les cultivent : c’est un soin qu’il faut leur laisser, et dont par malheur ils ne s’acquittent que trop bien.

Les conditions que le sénat mit au séjour de Christine en Suède, même lorsqu’elle fut partie pour y revenir une seconde fois, lui parurent si dures, qu’elle jugea à propos.d’aller attendre à Haujbourg la prochaine diète pour y faire valoir ses demandes. Ce fut de là qu’elle écrivit au sénateur Sevedt Baat, chargé de ses affaires à la cour de Suède, que l’obligation où elle était de ménager de grands intérêts, lui avait appris à souffrir et à dissimuler. Ce fut aussi dans ce voyage qu’ayant trouvé dans le cabinet d’un antiquaire la médaille de son abdication, elle rejeta cette médaille et ne voulut point la voir. Cette action, qui pouvait n’être qu’un effet de son chagrin actuel, fut regardée avec assez de vraisemblance comme une vive expression du dépit qu’elle ressentait d’avoir quitté la couronne.

La diète se tint, et il est à croire que les intérêts de Dieu avaient changé ; car de tous les ordres de l’État, le clergé fut le seul qui fiit favorable à Christine. Il craignait apparemment que si elle revenait à la cour solliciter par elle-même ce qu’elle demandait, elle ne réussit au-delà de ses espérances ; et les prêtres suédois pratiquèrent en ce cas la maxime de faire un pont d’or à son ennemi. Mais le reste de la nation à qui tous ces voyages de Christine avaient inspiré peu d’estime pour elle, et qui ne voyait plus dans sa conduite que beaucoup d’inconstance