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MÉMOIRES

et d’intrigues, usa du droit qu’elle lui avait donné, et lui refusa presque toutes ses demandes. Elle renonça donc à la Suède pour jamais, et revint à Rome, où elle passa le reste de ses jours mécontente et mal payée de ses anciens sujets, oubliée de la France, et assez peu considérée de la nation même qu’elle avait préférée aux autres. La reconnaissance et l’admiration avaient été pour ainsi dire le premier mouvement des Romains envers une princesse qui avait renoncé à régner pour vivre au milieu d’eux ; mais les hommes n’ont de sentiment continu que pour la grandeur et le pouvoir ; les princes même les plus estimés et les plus dignes de l’être, ignorent combien le trône leur est nécessaire pour faire rendre justice à leurs talens, et combien aux yeux du peuple, c’est-à-dire, de presque tous les hommes, ils tirent de mérite de leur couronne, même lorsqu’ils auraient le moins besoin d’elle. Christine, dit l’historien Nani, s’aperçut bientôt après son abdication qu’une reine sans Etats était une divinité sans temple, dont le culte est promptement abandonné.

Elle n’était pas encore arrivée à Rome, lorsqu’elle apprit la mort d’Alexandre VII. On peut donner par le fait suivant une idée du caractère de ce pape. Il avait témoigné dès le commencement de son pontificat, beaucoup de sévérité et d’éloignement pour ce qu’on appelle à Rome le népotisme. Ce désintéressement était l’objet d’une épître que le cardinal Pallavicini lui avait adressée à la tête de son Histoire du concile de Trente ; mais le pape changea si brusquement ou de sentiment ou de conduite, et inonda tellement Piorae de ses neveux, que Pallavicini sentant le ridicule de l’épître, ne la publia pas, quoiqu’elle fût déjà imprimée.

Alexandre VII eut pour successeur Clément IX, dont le pontificat trop court fut appelé l’âge d’or de Rome (en 1667 et 1669) ; pontife libéral, magnifique, ami des lettres et des hommes, assez éclairé pour vouloir rendre la religion respectable en terminant toutes les disputes, et dont l’esprit pacifique aurait du avoir plus d’imitateurs.

Christine continuait toujours son commerce avec les savans de Rome et les étrangers. L’auteur des mémoires nous donne à cette occasion une liste des savans qui composaient alors l’académie des Arcades, liste aussi inutile dans cette histoire que celle qu’il donne des savans de Suède durant le règne de Christine. Nous ne citerons de tout cet endroit de ses mémoires que le titre d’un ouvrage de Nicolas Pallavicini : la Défense de la Providence divine par la grande acquisition qu a faite la religion catholique en la personne de la reine de Suéde. Ce traité ne fut pas imprimé à cause de cinquante-quatre hérésies qu’on