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MÉMOIRES

Molinos, qu’elle fut soupçonnée de favoriser même ses opinions ; et peu s’en fallut qu’on ne fît un crime à cette princesse de remplir envers un nialhuereux les devoirs de l’humanité. Le repos spirituel que prêchait Molinos, et qui était alors l’objet de toute l’attention du saint oftice, fit dire à Pasquin assez plaisamment : Si nous parlons, les galères ; si nous écrirons, le gibet ; si nous nous tenons en repos, le saint office : que faire donc ?

Molinos, appuyé par Christine, avait un adversaire redoutable dans là personne du roi de France, qui, animé par les ennemis d’un hérésiarque si peu dangereux, poursuivait vivement à Rome sa condamnation. Elle fut enfin prononcée par le pape Innocent XI qui était alors assis sur le saint siège ; et indépendamment de la justice avec laquelle le pape agit en cette occasion, on croit lui devoir ce témoignage, qu’aucun motif humain ne l’y déterminait. Il parut bien par toute sa conduite avec la France, qu’il n’avait aucun dessein de la ménager ; ce pontife vertueux, opiniâtre et borné, se comporta avec une inflexibilité, qui sous un roi moins pieux que Louis XIV, aurait pu causer un schisme entre l’église de France et celle de Rome. Ses successeurs obtinrent beaucoup plus par la douceur, qu’il ne put faire par une fermeté mal placée ; et c’est une chose remarquable dans notre histoire, que la cour de France, malgré son attachement au Saint-Siège, est celle qui a su le mieux tenir tête pour ses intérêts aux souverains pontifes.

La célèbre mademoiselle Le Fèvre, depuis madame Dacier, envoya vers ce temps à Christine le Florus ad usus qu’elle venait de mettre au jour. Christine en la remerciant l’exhorta à se faire catholique, et mademoiselle Le Fèvre profita quelque temps après de ses avis.

Je ne sais si je dois faire ici mention d’une autre lettre que mon auteur rapporte, et par laquelle la reine de Suède exhortait un certain comte Vasanau à se faire moine. Le compilateur veut se servir de cette lettre pour prouver les sentimens de religion de Christine, quoiqu’il ait fait entendre en plusieurs endroits de son ouvrage qu’il soupçonne la sincérité de sa conversion ; car ce problème lui paraît fort important à résoudre et semble toujours l’inquiéter beaucoup. Mais une lettre si peu digne de la princesse et de celui à qui elle écrivait, ne sert qu’à prouver combien Christine avait de temps à perdre ; elle est du nombre de celles qu’on aurait du retrancher de son histoire.

J’en dis autant de l’apologie qu’on fait de Christine sur son goût prétendu pour l’astrologie. Dans un siècle ou la philosophie (qui finit ordinairement par les trônes) n’avait pas encore éclaire tous les États, il ne serait pas surprenant que la reine, avide