Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/98

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retomber sur eux les coups dont ils voudraient voir accabler des citoyens paisibles, attaches à leur patrie et soumis à leur souverain.

Je sens encore moins de remords, aussi bien la matière est beaucoup moins grave, sur l’exposé que j’ai fait de la doctrine des jansénistes ; ce n’est pas ma faute s’il est aussi révoltant que ridicule : mais comptez, monsieur, que cet exposé est très exact ; pour vous en vaincre, prenez seulement la peine, si néanmoins vous pouvez avoir cette patience, de lire ce que les jansénistes m’ont répondu à ce sujet ; et pour peu que vous soyez initié dans leur jargon théologique, vous verrez clairement que leur doctrine, quoique exposée par eux d’une manière obscure et vague, quoique modifiée, comme ils le disent eux-mêmes, avec prudence, est précisément celle que je leur attribue. Voulez-vous en être plus sûr encore ? priez-les de vous énoncer, nettement et sans équivoque, les principaux points de leur catéchisme, si raisonnable et si consolant ; ils vous diront, en citant à tort et à travers S. Augustin, S. Prosper et S. Fulgence, que toutes les actions des infidèles sont des péchés, même celles qui nous paraissent les plus vertueuses ; qu’on ne résiste jamais à la grâce proprement dite, quoiqu’on puisse y résister ; cela n’est-il pas fort clair ? que Dieu n’a pas une volonté réelle de sauver tous les hommes, mais une simple velléité, une espèce de fantaisie ; cette idée n’est-elle pas bien digne de l’Être suprême ? que la grâce qui est donnée à tous est une grâce, à la vérité suffisante, mais qui pourtant ne suffit pas : une grâce pour la forme, si on peut parler ainsi, puisqu’avec son secours on ne produira jamais une bonne œuvre. Dispensez-moi, monsieur, de vous fatiguer par une plus grande liste d’absurdités.

L’embarras de mes jansénistes dans l’exposition de leur doctrine s’aperçoit bien à travers le galimatias scolastique dont ils cherchent à s’envelopper. Je ne vous en citerai qu’un exemple : Dieu, avait dit l’un d’eux, en voulant expliquer leur étrange opinion sur les actions des infidèles, ne punit point pour une action faite sans le secours de la grâce ; il a senti qu’il avait trop dit dans ses principes, et il a ajouté dans un errata : sans le secours de la grâce considérée en elle-même, et quant à sa valeur intrinsèque ; demandez-lui, monsieur, l’explication de cet amphigouri, je ne me charge pas de vous la donner ; et jugez, après tout ce que je viens de dire, si la profession de foi des jansénistes n’est pas toute semblable à cette fameuse profession de foi des ministres de Genève, par laquelle ils ont voulu prouver qu’ils n’étaient point sociniens, et ont si bien démontré qu’ils le sont. ( Voyez à la fin de ce volume.)