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caire de Brives-la-Gaillarde, en Limosin. Il ne put faire ses études que par le moyen d’une bourse très-modique, qu’il oui même beaucoup de peine à obtenir ; tant la fortune le traita d’abord en marâtre, et avec une rigueur que peut-être elle a trop bien réparée. On montrait, il n’y a pas encore long-temps, dans un petit collège de Paris, la chambre très-mesquine que le futur cardinal y habitait. Cette chambre n’était pas sans doute aussi révérée que l’a été celle d’Érasme au collège de Montaigu ; parce que Érasme nous a laissé dans ses ouvrages des monumens durables de ses talens, et qu’il ne reste du cardinal Dubois que son nom, qui n’est pas, il faut l’avouer, celui de Sully ni de L’Hôpital. Cependant Érasme est mort aussi pauvre qu’estimé, après avoir été outragé et tourmenté durant sa vie par les fanatiques de toutes les sectes, à qui il avait laissé voir son mépris ; et Dubois, après avoir été obligé de se mettre au service du principal de son collège, parce que sa bourse ne suffisait pas pour le nourrir, sortit de là pour être précepteur du duc d’Orléans, depuis régent du royaume, confident de ses secrets de toute espèce ; archevêque de Cambrai, à qui il ne fit pas oublier Fénélon ; enfin premier ministre et cardinal, double titre auquel il ne paraissait désigné ni par la France ni par l’Église. Mais rien est-il fait en ce genre pour étonner notre siècle, qui, entre autres phénomènes de cette nature, a vu l’élévation de Menzicoff, garçon pâtissier, aux premières places de l’Empire de Russie ; et celle de Catherine, maîtresse d’un tambour, sur le trône de ce même Empire[1] ?

Notre cardinal, archevêque et ministre, eut la fantaisie, quoiqu’il ne se fût jamais piqué d’un vif intérêt pour les lettres, de joindre aux honneurs si accumulés et si brillans dont il était revêtu, la décoration très-peu fastueuse d’académicien, comme la seule, disait-il, qui manquât à sa fortune. Ce compliment pour nous était-il ironique ou sincère ? l’amour-propre nous défend de croire le premier, et la modestie de supposer le second[2].

Quoiqu’il en soit, son entrée dans la compagnie eut une singularité remarquable. Il est le premier, et jusqu’à présent le seul académicien à qui le directeur ait donné, en le recevant, le titre de Monseigneur, que l’Académie, dans ses séances publiques, n’emploie pour aucun de ses membres, et qui ne lui est pas même demandé par ceux de nos confrères, dont il est d’ailleurs la qualification distinctive, et, pour ainsi dire, le nom propre. Ce titre fut un grand objet de négociation entre la compagnie et le récipiendaire. Il exigeait le Monseigneur, sinon comme évêque, disait-il, au moins comme cardinal, et pour ne pas contrister ; c’était son expression, assez peu sérieuse, tous ses

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