Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, III.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
3
DU CARDINAL DUBOIS

amis et confrères du sacré collége. La compagnie avait peine à lui accorder cette distinction, comme faisant une légère brèche à l’égalité académique, jusqu’alors religieusement observée. Elle crut pourtant devoir sacrifier ses scrupules à la crainte de s’aliéner un homme puissant, de qui, à la vérité, elle ne prétendait aucune grâce, mais qui, pour lui nuire, n’aurait pas attendu qu’elle eût rien à lui demander. Le philosophe Fontenelle, chargé de la réception, se soumit, avec une docilité qui lui coûta peu, à cette mince prétention de la vanité humaine ; il donna en souriant et à petit bruit, le Monseigneur iani désiré au cardinal académicien, qui y mettait ou feignait d’y mettre une si grande importance.

Fontenelle avait dans soîf discours une difficulté plus embarrassante, soit à esquiver, soit à vaincre. Obligé, par sa place de directeur et par l’usage, de donner au cardinal Dubois la portion, des louanges qui revient de droit au récipiendaire, il importait à l’honneur de la philosophie que ces louanges ne parussent pas trop déplacées, et que la malignité publique, toujours si avide à saisir l’aliment qu’on lui présente, ne fit pas à l’orateur des reproches amers d’adulation. Il se tira de ce défilé avec assez de bonheur ou d’adresse, par le compliment très-mesuré qu’il fit au nouvel académicien ; mais ce compliment occasiona, de la part d’un journaliste, une plaisante sottise. Fontenelle, en parlant des instructions que le cardinal Dubois donnait à Louis XV, alors enfant, disait à ce ministre : Vous communiquez sans réserve à notre jeune monarcjue les connaissances qui le mettront un jour en état de gouverner par lui-même ; vous travaillez de tout votre pouvoir à vous rendre inutile. Un de ces écrivains qui barbouillent en Hollande des feuilles périodiques, observa finement que ces mots vous rendre inutile, étaient une faute d’impression, d’une absurdité rare, dont l’auteur du discours avait dû rire tout le premier ; qu’il fallait évidemment lire, vous rendre utile, et avoir pitié de l’ineptie des imprimeurs[1].

Le cardinal Dubois présida l’assemblée du clergé en 1723. Il prononça dans la première séance un discours qui fut très-goûté de ses confrères, par tout ce qu’il contenait d’honnête et de flatteur pour eux. Aussi se crurent-ils obligés de lui répondre par l’assurance, au moins oratoire, des sentimens de reconnaissance et d’attachement que l’Église de France avait pour lui. Le discours du cardinal était l’ouvrage de Fontenelle ; il avait cette simplicité fine, et cette sage convenance que l’illustre philosophe savait mettre dans tout ce qui’sortait de sa plume, et plus encore lorsqu’il la prêtait généreusement, ce qui lui était assez ordinaire, au désir ou au besoin des autre (!). Mais ni cette ha-

  1. 3