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DU CARDINAL DUBOIS

fissent regreller au cardinal de Fleury la petite église de Fréjus, dont il avait d’abord été évêque. Le cardinal Quirini, dont la vanité a ramassé dans ses Mémoires toutes les lettres qu’il avait reçues, nous en a laissé deux très-curieuses, que le cardinal de Fleury lui écrivit, l’une quand il eut lévêclié de Fréjus, et l’autre quand il fut nommé précepteur du roi. Dans la première, l’évêque de Fréjus dit qu’il vient d’arriver dans le triste diocèse qu’on lui avait donné ; que dès qu’il avait vu sa femme, il avait été dégoûté de son mariage ; et il signe sa lettre, Fleury, évêque de Fréjus par l’indignation divine. Dans la seconde, il proteste au même cardinal, qu’il regrette bien vivement la solitude de Fréjus, dont on vient de l’arracher pour le charger de l’éducation du jeune héritier de la couronne. « Louis XIV, dit-il, était à l’extrémité quand il m’a fait l’honneur de me donner cette place. S’il avait été en état de m’entendre, je l’aurais supplié de me décharger d’un fardeau qui me fait trembler ; mais, après sa mort, on n’a pas voulu m’écouter ; j’en ai été malade, et je ne me console point de la perte de ma liberté. » Il paraît cependant qu’il se consola, du moins à la longue, et qu’il trouva enfin des forces pour supporter le malheur de n’être plus confiné au fond de la Provence, et d’avoir à gouverner le royaume au lieu du diocèse de Fréjus.

Le cardinal de Fleury ne fut malheureux que les deux dernières années de sa vie, par le mauvais succès d une guerre aussi injustement entreprise que mal conduite. Ce ministre, disait à cette occasion le pape Benoît XIV, est né à propos pour sa fortune, et mort à contretemps pour sa gloire.

ÉLOGE DE L’ABBÉ DE CHOISY[1]

François-Timoléon de Choisy naquit à Paris le 16 août 1644. Son père, chancelier de Gaston, duc d’Orléans, servit l’État avec zèle et avec succès dans quelques négociations importantes, dont il fut chargé auprès des cours étrangères. Mais ayant dédaigné, à son retour en France, de faire sa cour au cardinal Mazarin, alors tout-puissant dans le royaume, et si peu fait pour l’être, il eut le malheur honorable de déplaire à ce ministre, et de s’en voir négligé, comme il devait s’y attendre. Il avait appris d’un politique philosophe, que les grandes places sont comme les rochers escarpés, qu’il n’y a que les aigles et

  1. Prieur de Saint-Lô de Rouen et de Saint-Gelais, né à Paris, le 16 août 1644 ; reçu le 25 août 1687, à la place de François de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan, mort le 2 octobre 1724.