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ÉLOGE

les reptiles qui y parviennent ; et la nature ne l’avait fait ni aigle, ni reptile. Aussi, bien loin d’obtenir les grâces ou plutôt les distinctions qu’il méritait, il vit même s’évanouir une partie considérable de » son patrimoine par les injustices et les pertes qu’il essuya dès qu’il fut sans crédit[1]. L’aïeul paternel de l’abbé de Choisy s’était montré plus fin courtisan. Il avait la réputation de jouer supérieurement aux échecs ; le marquis d’O, surintendant des finances, qui avait aussi la prétention d’être fort habile au même jeu, voulut essayer ses forces contre ce redoutable adversaire ; et celui-ci eut non-seulement l’adresse de se laisser gagner, mais l’adresse plus grande encore de paraître se bien défendre : le ministre, fier de son succès, daigna converser au sortir du combat avec celui qu’il avait eu tant de peine et surtout tant de gloire à vaincre ; il lui trouva, ainsi qu’on le peut penser, toute la capacité possible pour les affaires, se l’attacha, l’employa dans plusieurs intrigues secrètes, et fit sa fortune, et celle de sa famille ; mais cette fortune, comme on vient de le dire, ne fut pas de longue durée, et la roideur du fils détruisit l’ouvrage de la souplesse du père.

Madame de Choisy, mère de notre académicien, et arrière-pelite-fille du chancelier de L’Hôpital, était une femme de beaucoup d’esprit ; Louis XIV l’honorait de ses bontés, et elle en profita pour oser lui dire un jour : Sire, voulez-vous devenir honnête homme ? ayez souvent des conversations avec moi. Le roi la crut, lui donna deux fois par semaine des audiences réglées, et récompensa en roi, c’est-à-dire d’une pension considéi’able, les avis, souvent très-utiles, qu’il recevait d’elle dans ces entretiens secrets. Si les princes ne payaient que les vérités qu’on leur dit, ils ne se plaindraient pas si souvent du dérangement de leurs finances. Madame de Choisy fut si reconnaissante de la faveur du monarque, qu’elle recommanda toujours à ses eufans de préférer le roi à tout autre protecteur : Croyez-moi, leur disait-elle souvent, il n’est rien de tel que le tronc de l’arbre. Cette leçon pouvait être bonne à la cour d’un souverain qui gouvernait par lui-même ; elle ne l’eût pas été à celle de tant d’autres princes, qui, comme l’a dit un philosophe, ont eu bien peu de crédit auprès de leurs ministres [2]. Cependant madame de Choisy, en conseillant à ses enfans de ne s’attacher réellement qu’au roi, ne négligeait pas de leur donner des avis salutaires pour se rendre favorables les courtisans les plus accrédités ; elle leur inspirait pour les grands seigneurs le plus profond respect, en leur répétant tous les jours cet apophthegme de la vanité gothique, qu’en France on ne connaît de noblesse que celle de l’épée ; maxime que l’orgueilleuse ignorance avait consacrée chez

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