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ÉLOGE

maîtres se glorifiaient de compter parmi leurs disciples un mathématicien du premier ordre. Mais l’anatomiste et le médecin, qui étaient en lui fort subordonnés au géomètre, le sont aussi dans cette dissertation ; il avait choisi un sujet oii put briller sa science favorite ; et l’ouvrage est surtout recommandable par l’heureux emploi que Bernoulli fait de la mécanique la plus subtile pour déterminer la courbure des fibres élastiques musculaires, enflées par le fluide qui les remplit : ses formules lui fournissent une table oii l’on trouve la force nécessaire à un muscle pour soutenir un poids donné.

Il continua pendant quelques années à remplir les actes de Leipsick de différens opuscules mathématiques, dignes de leur auteur, mais le détail en serait trop long, et ceux qui les ont suivis les ont presque fait oublier. Tels furent, pour ainsi dire, les degrés par lesquels il s’éleva, en 1697, au fameux problème de la brachystochrone, ou ligne de la plus vite descente. Voici l’énoncé de ce problème, tel que Bernoulli le proposa aux géomètres : deux points étant donnés, lesquels soient dans un plan vertical, et ne soient cependant ni dans la même ligne horizontale ni dans lamême ligne verticale, trouver une courbe qui passe par ces deux points, et dont la propriété soit telle, qu’un corps pesant descendant le long de sa concavité, mette moins de temps à la parcourir que toute autre ligne droite ou courbe, passant par les mêmes points. Galilée, qui avait cru que la courbe de la chaîne était une parabole, avait cru aussi que la ligne de la plus vite descente était un cercle ; et cet homme immortel par ses découvertes astronomiques et mécaniques, n’avait pas trouvé dans la géométrie de son temps des secours suflisans pour résoudre la question.

Bernoulli, en proposant le problème, avait averti que la ligne droite qu’on pouvait tirer entre les deux points donnés, quoique plus courte qu’aucune autre, n’était pas cependant celle qu’un corps pesant mettrait le moins de temps à parcourir. Nous n’entreprendrons point d’en donner la raison métaphysique. Ce n’est qu’à l’aide d’un calcul très-subtil qu’on peut démontrer cette vérité. Tout ce qui est susceptible d’idées précises, n’en souffre point d’autres ; présenter des notions vagues pour des démonstrations exactes, c’est substituer de fausses lueurs à la lumière, c’est retarder les progrès de l’esprit en voulant l’éclairer. L’ignorance croit y gagner, et les sciences y font une perte réelle. Ce n’est pas que la géométrie n’ait, comme toutes les autres sciences, une métaphysique qui lui est propre et nécessaire même pour y faire des découvertes. Un homme qui, avant que de toucher les objets, les aperçoit déjà, quoique confusément,