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DE BERNOULLI.

a sans doute beaucoup d’avantage sur un aveugle qui les rencontre brusquement et par hasard ; mais ce n’est pas assez d’entrevoir une vérité géométrique dans l’éloignement, il faut, pour ainsi dire, nous assurer d’elle, en la reconnaissant de plus près, et franchir l’intervalle qui nous en sépare ; or le calcul est le seul guide qui puisse conduire dans cette route, faire éviter les obstacles qui s’y rencontrent, ou avertir qu’ils sont insurmontables. Mais comme ce guide serait trop peu familier à la plupart de nos lecteurs, nous ne pouvons tout au plus, dans la question dont il s’agit, que diminuer le paradoxe, et dissiper les fausses raisons qui pourraient faire croire que la ligne droite est celle de la plus vite descente. Si un corps pesant se mouvait uniformément, c’est-à-dire, s’il parcourait toujours en temps égaux des espaces égaux, il ii.’est pas douteux que la ligne droite, étant la plus courte de toutes, serait aussi celle qu’il décrirait en moins de temps. Mais un corps pesant descend d’un mauvement accéléré, et le temps qu’il emploie à parcourir une ligne quelconque, est la somme des temps qu’il met à parcourir les différentes parties. S’il se meut sur une ligne courbe qui passe par les deux points donnés, et qui tombe au-dessous de la ligne droite tirée par ces deux mêmes points, on voit au premier coup d’œil qu’il doit d’abord descendre plus verticalement, et par conséquent avec un mouvement plus accéléré, que s’il décrivait la ligne droite. Il n’y a donc rien d’absurde à croire qu’il puisse parcourir la ligne courbe en moins de temps. Voilà jusqu’où la métaphysique peut nous conduii’C ; c’est au calcul seul à achever le reste et à faire entièrement évanouir Je paradoxe, parce que c’est à lui seul à déterminer et à comparer entre eux les deux temps. On trouve, par son secours, que la brachystochrone doit être une portion de cycloïde, courbe très— familière aux géomètres. C’est celle que décrit le point de la circonférence d’un cercle qui roule sur un plan, ou pour lui donner une origine plus connue, c’est celle que trace en l’air le clou de la circonférence d’une roue qui tourne et qui avance en même temps. La cycloïde a un grand nombre de propriétés très-singulières, et celle d’être la courbe de la plus vite descente n’est pas une des moins remarquables.

Il ne sera peut-être pas inutile de donner une idée de la solution de Bernoulli ; nous la donnerons même d’autant plus volontiers, que celte solution singulière peut fournir matière à quelques observations importantes.

La courbe brachystochrone doit être telle, que si on y prend à volonté une très-petite portion terminée par deux points quelconques, cette petite portion soit parcourue en moins de temps