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DE BERNOULLI.

ses plus beaux ouvrages, fut loué par ses juges, mais ne fut point couronné. On trouva qu’il ne répondait pas précisément à la question du prix : l’Académie demandait les lois du choc des corps durs, et il débutait dans sa pièce par soutenir que ces corps ne pouvaient exister. Il en donnait pour raison, que dans le choc des corps durs la communication du mouvement devrait nécessairement être instantanée, et qu’ainsi ces corps devraient passer subitement d’un mouvement quelconque à un autre, sans passer par les degrés intermédiaires, ce qui est contraire au principe, que tout se fait dans la nature par des degrés insensibles. On aurait pu demander à Bernoulli, si dans le choc de deux corps élastiques, égaux et semblables, qui viennent se frapper directement en sens contraire, avec des vitesses égales, le point d’attouchement ne perd pas tout d’un coup son mouvement dès l’instant que les deux corps se joignent, et si par conséquent il ne passe pas subitement et sans gradation à l’étal de repos ; état dans lequel il reste pendant tout le temps que les deux corps mettent à se comprimer et à se rétablir. Si cela est, comme on ne peut en disconvenir, et si d’un autre côté la matière ne peut être supposée actuellement divisée à l’infini, ce qui est évident, le point de contact ne saurait perdre son mouvement sans qu’une petite portion de chaque corps, contigué à ce point, ne perde aussi le sien. Voilà donc, même dansl’hvpothèse abstraite de Bernoulli, deux parties de matière qui passent sans gradation du mouvement au repos. Ce principe, que tout se fait dans la nature par degrés insensibles, est celui que Leibnitz et ses sectateurs ont appelé loi de continuité. On ne peut nier qu’il ne soit très-philosophique, et confirmé du moins par la pins grande partie des phénomènes. Mais c’est en faire un étrange usage que d’en conclure qu’il n’y a point dans l’univers de corps durs, c’est-à-dire d’en exclure, selon l’expression d’un philosophe moderne, les seuls corps peut-être qui y soient : car comment se former une idée de la matière, si on n’accorde pas une dureté originaire et primitive aux élémens dont elle est composée, et qui sont proprement les vrais corps ? Au reste, quand l’existence des corps durs serait physiquement impossible, il n’est pas moins certain qu’on peut toujours considérer ces corps comme on considère en géométrie des lignes et des surfaces parfaites, en mécanique des leviers inflexibles et sans pesanteur ; et c’était là sans doute le point de vue de la question proposée.

Bernoulli soutenait dans la même pièce une autre opinion qui parut aussi nouvelle, quoiqu’elle eût pour premier auteur Leibnitz, et qu’elle ait eu depuis bien des sectateurs. C’était la mesure des forces vives ou des forces des corps en mouvement, par les