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ÉLOGE

Quoique ses succès dans les mathématiques eussent été fort précoces, et fussent l’effet d’un talent qui avait dû reconnaître de bonne heure son objet et le saisir, cette étude néanmoins n’était pas la première à laquelle il s’était livré. Son âme avide de connaissances s’était, pour ainsi dire, jetée d’abord sur le premier aliment qu’on lui avait présenté. Les charmes des belles-lettres, qui s’offrirent à lui dès l’entrée de sa carrière, le dédommagèrent des avantages qu’il aurait pu trouver dans le commerce, pour lequel il n’avait aucun goût, quoiqu’il y eût été destiné par un père, qui pour avoir un fils si rare, n’en ressemblait pas moins à tous les pères. Il passa de là à l’étude de la médecine ; et ce fut elle sans doute qui le conduisit insensiblement au point où la nature l’appelait, à cette géométrie sublime, si nécessaire pour entrevoir le mécanisme admirable du corps humain, et si insuffisante néanmoins pour en démêler tous les ressorts. Bernoulli aussi incapable d’en imposer à lui-même qu’aux autres, et fait pour apercevoir presque au premier coup d’œil les limites prescrites à nos connaissances, vit bientôt que l’usage de la géométrie dans cette matière dégénérait trop facilement en abus ; malgré le succès de la dissertation physico-mathématique qu’il avait publiée sur le mouvement des muscles, et dont nous avons parlé, il crut devoir dans la suite réserver la géométrie jîourdes objets moins utiles peut-être, mais plus satisfaisans du moins par les lumières qu’elle peut y répandre.

Cependant il n’était pas tellement borné aux mathématiques, qu’il perdît entièrement de vue tout le reste. Il faisait quelquefois pour se délasser, des vers latins, peut-être aussi mal qu’un homme né à Pékin ferait des vers français, mais assez bien cep. endant pour pouvoir tenir un rang honorable parmi la foule des modernes qui ont mieux aimé parler une langue morte que la leur. On nous permettra de faire à cette occasion une remarque singulière ; c’est que les langues grecque et latine, tant qu’on les a parlées, n’aient eu qu’un très-petit nombre d’excellens poètes, comme toutes les langues vivantes ; et qu’au contraire, depuis la renaissance des lettres, nous nous flattions d’avoir tant d’Horaces et de Virgiles. La solution de ce paradoxe ne sera pas fort difficile à trouver si on se demande à soi-même, pourquoi plusieurs corps célèbres qui ont produit une nuée de versificateurs latins, n’ont pasun seul poêle français qu’on puisse lire. Nous ne croyons donc pas devoir nous arrêter beaucoup sur les vers latins de Bernoulli. Il fîiisait mieux ou plus mal encore ; car dans sa jeunesse, ù l’âge de dix-huit ans, il avait soutenu une thèse envers grecs, sur cette question, que le prince est pour les sujets ; matière du moins aussi intéressante qu’aucune de celles qu’il a traitées de-