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DE L’ABBÉ DE CHOISY.

Si les souverains ne permettent pas qu’après trois ou quatre siècles, et même beaucoup plus tôt, l’histoire dise qu’un prince a été imbécile ou méchant, il faut ou renoncer à écrire l’histoire, ou se sentir assez de courage pour ne pas sacrifier l’histoire aux princes.

Quoi qu’il en soit, ces différentes histoires de l’abbé de Choisy sont écrites avec le même agrément, le même naturel, la même facilité de style qui caractérisent tous ses ouvrages. On prétend, il est vrai, qu’elles ne sont pas fort exactes, et rien n’est plus aisé à croire ; mais elles ont du mouvement et de la vie ; elles se font lire, et sont du moins supérieures, par cet avantage, à beaucoup d’autres histoires, qui, très-ennuyeuses sans en être plus vraies, n’ont ni le mérite d’amuser, ni celui d’instruire, et qu’on peut appeler les derniers des mauvais romans ; celles de l’abbé de Choisy méritent au moins d’être placées parmi les bons.

Nous en dirons autant de la Vie de S. Louis, que notre académicien donna quelques années après[1] ; cette vie, quoique composée en trois semaines, fit presque tomber celle qu’avait écrite le pieux M. de La Chaise, sous les yeux des solitaires de Port-Royal ; ouvrage exact et véridique, mais dont le style faible et languissant fut effacé par la plume élégante et superficielle de l’abbé de Choisy, quoique cette plume ne fût ni assez grave pour écrire la vie d’un Saint sur le trône, ni assez philosophique pour tracer le portrait d’un prince, dont le règne offre partout le contraste piquant de la simplicité de sa dévotion avec l’élévation de son âme, de l’éducation que lui donna l’ignorance avec celle qu’il ne dut qu’à son génie, et des erreurs qu’il tenait de son siècle, avec des lumières qu’on croirait du nôtre.

Si l’abbé de Choisy n’était pas savant, il était au moins très éloigné de vouloir le paraître. On en voit la preuve dans le compte naïf qu’il rend à un ami de ses conversations, ou plutôt de son silence avec les savans missionnaires qu’il avait trouvés dans son ambassade de Siam. J’ai, dit-il, une place d’écoutant dans leurs assemblées, et je me sers souvent de vore méthode ; une grande modestie, point de démangeaison de parler. Quand la halle me vient bien naturellement, et que je me sens instruit à fond de la chose dont il s’agit, alors je me laisse forcer, et je parle à demi-bas, modeste dans le ton de la voix aussi bien que dans les paroles. Cela fait un effet admirable ; et souvent, quand je ne dis mot, on croit que je ne veux pas parler ; au lieu que la bonne raison de mon silence est une ignorance profonde, qu’il est bon de cacher aux yeux des autres. On voit par ce modeste aveu, que du moins l’abbé de Choisy ne ressemblait pas à tant

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