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ÉLOGE

d’hommes qui, toujours pressés de parler de ce qu’ils ignorent, mériteraient la réponse qu’un artiste grec fit dans son atelier aux raisonnemens ridicules d’un amateur : Prenez garde que mes élèves ne vous entendent.

La Vie de S. Louis fut suivie d’une traduction de l’Imitation de Jésus-Christ, que l’auteur dédia à la pieuse madame de Maintenon, quoiqu’il eut fait sans piété, comme il l’avoue lui-même, la traduction de ce pieux ouvrage. La première édition est remarquable par un verset du psaume 44, placé au bas d’une estampe où madame de Maintenon est représentée aux pieds du crucifix, qui semble lui adresser les paroles de ce verset : Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuam, et obliviscere domum patris tui, et concupiscet rex decorem tuum. Écoutez, ma fille, voyez et prêtez l’oreille ; oubliez la maison de votre père, et votre beauté touchera le cœur du roi[1]. Ce passage a été retranché dans la seconde édition, à cause de la malignité du commentaire qu’on en avait fait ; il n’était pas difficile de le prévoir ; un courtisan moins empressé, mais plus fin, ne s’y serait pas trompé, et n’aurait pas commis cette faute. Il paraît que l’abbé de Choisy, peu fait par sa naissance pour vivre à la cour, était plus flatté du plaisir de s’y voir, qu’occupé du soin d’en étudier les habitans ; sa vanité offusquait ses lumières, qui d’ailleurs peu étendues et peu actives, même pour ses propres intérêts, n’avaient jamais un pressant besoin de s’exercer.

Voué, pour ainsi dire, aux ouvrages de dévotion, depuis la Vie de S. Louis, il donna un volume d’Histoires édifiantes, mais qu’il rendit en même temps les plus agréables qu’il lui fut possible ; il voulait, disait-il, par cet innocent artifice, engager les femmes de la cour à préférer cette lecture à celle des contes de fées, qui les occupaient tellement alors, que l’Oiseau bleu, si on en croit l’abbé de Choisy, faisait disparaître les ouvrages les plus solides, et que Bourdaloue cédait la place à madame d’Aulnoy.

Les Histoires édifiantes de notre académicien eurent le succès qu’il en avait attendu, et l’encouragèrent à entreprendre une autre histoire plus édifiante encore, mais plus longue et plus sérieuse, l’Histoire de l’Église, depuis la naissance du Christianisme jusqu’à la fin du règne de Louis XIV. Il exécuta et termina même en onze volumes une entreprise si laborieuse, surtout pour un écrivain tel que lui[2]. Le plus grand mérite de cet ouvrage est, comme dans tous ceux de l’abbé de Choisy, l’agrément et la vivacité de la narration ; il n’y faut pas chercher la profondeur des recherches ni l’exactitude des faits ; aussi prélend-on que l’auteur disait en riant, quand il eut fini son dernier

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