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DE L’ABBÉ DE CHOISY.

volume : J’ai achevé, grâce à Dieu, l’Histoire de l’Église ; je vais présentement me mettre à l’étudier.

Cette production, tout à la fois volumineuse et légère, fut la dernière qu’il donna au public ; car les Mémoires pour servir à l’Histoire de Louis XIV, qu’il avait aussi écrits dans ses momens de loisir, n’ont paru que depuis sa mort ; ces mémoires, quoique fort négligés pour le style, sont peut-être le plus agréable de ses ouvrages, Louis XIV, ses ministres, ses courtisans, y sont peints d’une manière d’autant plus piquante, que l’auteur ne paraît pas avoir songé à les peindre ; vraisemblablement il ne s’est pas douté des réflexions intéressantes que font naître les faits qu’il raconte, et du portrait qu’on peut se tracer, d’après ces faits, de ce monarque si flatté, mais assez digne d’estime pour mériter de ne pas l’être, dont l’esprit naturellement juste et droit, elle cœur aussi noble que vertueux, pouvaient quelquefois êlre séduits par les préjugés de la grandeur et de la fausse gloire, mais n’avaient pu être étouffés par ces préjugés funestes ; qui récompensait et employait le mérite dans ceux même qu’il n’aimait pas ; qui écoutait avec plaisir l’adulation, et voyait avec mépris les adulateurs. On accuse cependant l’abbé de Choisy, et ce serait dommage si l’accusation était fondée, d’avoir été aussi peu véridique dans ses mémoires que dans ses autres ouvrages historiques, et de les avoir remplis d’anecdotes fausses ou tout au moins hasardées. Le goût du roman semble le poursuivre lors même qu’il écrit ce qui s’est passé sous ses yeux. Mais ce roman, si c’en est un, est le meilleur de tous ceux qu’il a faits.

Il mourut le 2 octobre 1724, à l’âge de quatre-vingts ans révolus ; peu de temps auparavant, il avait fait encore les fonctions de directeur à la réception de l’abbé d’Olivet son ancien ami, et le discours plein de sensibilité qu’il prononça en cette occasion, fut comparé par ses confrères au chant du cygne. Il avait été plus aimé d’eux pendant sa vie, qu’il n’en fut regretté après sa mort ; c’est qu’étant doyen de l’Académie lorsqu’il mourut, il eut malheureusement pour successeur dans le décanat un homme bien plus fait pour honorer ce titre, l’illustre Fontenelle, qui en a joui plus de trente années, et trop peu de temps encore au gré de nos vœux ; digne Nestor d’une compagnie littéraire, rendant les lettres également respectables par ses ouvrages et par ses mœurs ; objet de l’estime de la nation, et connaissant le prix de cette estime ; jouissant enfin de cette considération personnelle, qui ne s’accorde ni au rang, ni au génie même, mais à îa vertu seule, et dont on doit être d’autant plus jaloux, qu’on est plus exposé par ses talens ou par ses dignités au jugement de ses contemporains. Il eût été à souhaiter pour l’abbé de Choisy,