Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, III.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
36
ÉLOGE

qu’il se fut montré aussi digne de cet éloge ; mais avec des qualités aimables pour la société, il lui manqua la plus essentielle pour lui-même, la seule qui donne du prix à toutes les autres, la dignité de son état, sans laquelle les agrémens n’ont qu’un éclat frivole, et ne sont guère qu’un défaut de plus. Toujours plongé dans les extrêmes, où la décence, comme la vérité, ne se trouvent jamais, il joignit à l’amour de l’étude trop de goût pour les bagatelles, à l’espèce de courage qui mène au bout du monde, les petitesses de la coquetterie, et fut dans tous les momens entraîné par le plaisir et tourmenté par les remords.

Il avait d’ailleurs le cœur bon et les mœurs douces, mais de cette douceur qui tient plus à la faiblesse et à l’amour du repos, qu’à un fond de bienveillance pour ses semblables. Grâce à Dieu, dit-il dans ses mémoires, je n’ai point d’ennemis ; et si je savais quelqu’un qui me voulût du mal, j’irais tout à l’heure lui faire tant d’honnêtetés, tant d’amitiés y qu’il deviendrait mon ami en dépit de lui. Avec ce naturel facile, il ne devait pas en effet avoir d’ennemis, et n’en eut pas. Il se flattait même d’avoir des amis ; mais on n’en a point, si l’on ne sait l’être ; et pour être digne et capable d’aimer, il faut avoir dans le caractère une consistance et une énergie dont l’abbé de Choisy ne se piquait pas. La véritable amitié, dit un philosophe, est un sentiment profond et durable, qui ne peut ni être gravé dans un cœur de sable, ni se conserver dans une âme d’argile.

La manière de vivre de notre académicien avait été trop peu sévère, pour qu’il pût ni désirer, ni espérer les dignités de l’Église. Aussi se console-t-il dans ses mémoires àe l’espèce d’oubli cil les distributeurs des grâces ecclésiastiques semblaient l’avoir laissé. Dieu ne l’a pas permis, disait-il, je me serais perdu dans les grandes places ; et d’ailleurs à la mort j’aurais eu un plus grand compte à rendre ; je n’aurai à répondre que de moi. Peutêtre le sentiment religieux que l’abbé de Choisy exprime par ces paroles était-il plus commandé par les circonstances qu’inspiré par un vrai détachement des honneurs et des biens de ce monde : mais sa résignation est au moins très-digne d’un prêtre repentant et modeste ; heureux d’avoir accepté dans cette louable disposition quelques mortifications passagères, en expiation des fautes qu’il s’est si souvent reprochées. Ne soyons pas plus sévères à son égard que la bonté suprême, qui sans donle aura reçu de lui avec indulgence cette pénible expiation, en lui pardonnant même les regrets involontaires que pouvait laisser dans son cœur un sacrifice si douloureux.