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ÉLOGE

gement pour un coufrèrc. Les détails de cette aventure, qui n’était faite que pour l’oubli, ont été conservés dans l’ouvrage très-peu édifiant qui a pouf titre : Histoire de la comtesse des Barres, espèce de roman par la singularité des faits, mais histoire par la vérité. Cet ouvrage l’ut attribué, lorsqu’il parut, à un ami de l’abbé de Choisy, qui a toujours nié d’en être l’auteur, et d’avoir rendu un si mauvais service à sa inéuioire.

(4) On ne sera peut-être pas fâché de trouver ici en détail les expressioys plus qu’énergiques par lesquelles l’abbé de Choisy exprimait sa frayeur religieuse dans la maladie mortelle dont il fut atteint.

« La mort de la reine, dit-il dans la peinture qu’il nous a conservée de cette maladie, m’avait fait faire à peine quelques réflexions, quand tout à coup je me sentis accablé par une fièvre violente. Mes forces, au bout de trois jours, furent perdues, mon cœur abattu. J’envisageai la mort, que j’avais cru si éloignée. Bientôt après j’en vis tout l’appareil effroyable. Je me vis dans un lit entouré de prêtres, au milieu des cierges funèbres, mes parens tristes, les médecins étonnés ; tous les visages m’aniionçant l’instant fatal de mon éternité. Oh ! qui pourrait dire ce que je pensais dans ce moment terrible ! car si mon corps était abattu, si je n avais quasi plus de sang dans les veines, mon esprit en était plus libre et ma tête plus dégagée. Je vis donc, ou je crus voir les cieux et les enfers. Je vis ce Dieu si redoutable sur un trône de lumière environné de ses anges. Il me semblait qu’il me demandait compte de toutes les actions de ma vie, des grâces qu’il m’avait faites, et dont j’avais abusé ; et je n’avais rien à lui répondre, rien à lui offrir pour satisfaire à sa justice. Je voyais en même temps les abîmes ouverts prêts à m’engloutir ; les démons prêts à me dévorer ; les feux éternels destinés à la punition de mes crimes. Non, on ne saurait s’imaginer ce que c’est que tout cela, si on n’y a passé. Car ne croyez pas, dans cet état, quand l’âme est prête à se séparer du corps, ne crovez pas qu’on voie les choses comme nous les voyons présentement ; les mystères les plus incompréhensibles palaissent clairs comme le jour ; l’âme, quasi dégagée de son corps, a des clartés nouvelles ; nous voyons la justice de Dieu qui nous va punir, et nous ne présumons plus de sa miséricorde. Pour moi, je vous avoue que j’eus grande peur. Je demandai pardon à Dieu de tout mon cœur. J’aurais bien voulu avoir le temps de faire pénitence, mais la mort me talonnait de près. J’avais entendu les médecins dire : Il ne sera pas en vie dans deux heures. Que faire donc ? quel parti prendre ? Je ne sentais rien, je ne me souvenais de rien qui pût me donner la moindre espérance. Je ne me a oyais aucun moyen de racheter mes péchés par l’aumône ; enlîn, toutes les portes du ciel me paraissaient fermées. J’avais pourtant reçu tous mes sacrcmcns, et m’étais préparé le mieux que j’avais pu à ce passage si terrible. Mais qu’est-ce qu’une préparation précipitée ? et que peut penser dans ces derniers momens, au milieu d’une mort presque inévitable, un cœur tout terrestre, nourri dans les plaisirs du siècle, et si peu accoutumé aux pensées de l’autre vie ? Je serais tombé dans le désespoir, si j’étais demeuré plus long-temps dans