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DE L’ABBÉ DE CHOISY.

un état si capable d’effrayer les plus déterminés. Mon corps, abattu par la violence de la maladie, tourmenté par l’agitation de mon esprit, demandait du repos. Je m’endormis, et me réveillai plus tranquille. J’avais cru, pendant mon sommeil, me voir à la porte d’une galerie toute éclatante de lumières, mais d’une lumière douce, et qui, sans méblouir, me paraissait plus brillante que toutes les autres lumières. Je me sentais bien ferme dans la résolution de me convertir si je revenais en santé, et je commençai à croire qu’il n’était pas impossible que Dieu me lit miséricorde. Une pensée si consolante me donna courage. L’esprit en repos contribua à ma guérison autant et plus que le quinquina ; et je me vis bientôt en état de jouir encore une fois de la vie, que je n’avais souhaitée que pour faire pénitence. »

Nonobstant des dispositions si louables, il avait besoin, pour être tout-à-fait éclairé, d’une espèce de rechute qui fut encore longue et dangereuse, et qui acheva heureusement en lui, disait-il, l’opération de la grâce.

Cette conversion, néanmoins, ne l’avait guère corrigé. Passant un jour avec un ami près d’une terre considérable que le dérangement de sa conduite l’avait obligé de vendre, il poussait de profonds soupirs ; son ami, édifié de sa douleur, louait de son mieux, pour la consolation de l’affligé, un repentir qui paraissait si profond et si sincère. Ah ! s’écria l’abbé de Choisy, que je la mangerais bien encore !

(5) Pour donner une idée de ce journal, nous en rapporterons quelques passages singuliers ou curieux. Ils feront connaître le genre d’esprit de l’abbé de Choisy, sa manière de voir, de juger et d’écrire, et le rôle un peu mesquin qu’il a joué dans sa sous-ambassade. Le journal est adressé à M. l’abbé de Dangeau, à qui l’auteur rend compte, pour ainsi dire, de tous les momens de son voyage.

« M. Basset, l’un de nos missionnaires, a fait cette après-dînée une exhortation aux matelots, où d’honnêtes gens auraient pu prendre leur part. Oh ! qu’aisément tout nous porte à Dieu, quand on se voit au milieu des mers, sur cinq ou six planches, toujours entre la vie et la mort ! Cette consolation solide ne se peut trouver que dans les jjensées d’une autre vie, cent lois plus heureuse que celle-ci ; et il faut bien que nous les ayons, ces pensées de l’éternité, car sans cela nous serions bien sots d’aller passer la ligne

« M. Vachet, autre missionnaire, dira demain la messe. Je suis tout plein des joies du paradis. Je viens de lire le paradis de Nicole : qu’il en donne une belle idée ! en vérité, il faut être fou pour ne pas avoir envie d’aller là. L’enfer ne m’a pas semblé si bien traité ; et l’un m’a fait plus de plaisir que l’autre ne m’a fait de peur. Je crois avoir enfilé le bon chemin, et jespère beaucoup de la miséricorde de Dieu. Que je suis heureux d’avoir entrepris ce voyage-ci ! je sentais bien que la main de Dieu y était ; et j’y étais poussé avec trop de violence pour que cela fût nalurol. Je n’aurai guère offensé Dieu pendant deux ans. Hélas ! ce seront