Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/201

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qui leur déchirait le cœur, jusqu’à ce qu’il se fût endormi, debout contre le buffet, et si profondément qu’ils purent le déshabiller, le coucher dans la lourde berce campagnarde empruntée à un voisin, sans qu’il ouvrît l’œil une seconde.

« Vois comme il est beau… » disait Fanny très fière de son acquisition ; et elle forçait Gaussin à admirer ce front têtu, ces traits fins et délicats sous leur hâle paysan, cette perfection de petit corps aux reins râblés, aux bras pleins, aux jambes de petit faune, longues et nerveuses, déjà duvetées dans le bas. Elle s’oubliait à contempler cette beauté d’enfant.

« Couvre-le donc, il va avoir froid… » dit Jean dont la voix la fit tressaillir, comme tirée d’un rêve ; et tandis qu’elle le bordait tendrement, le petit avait de longs soupirs sanglotés, une houle de désespoir malgré le sommeil.

La nuit, il se mit à parler tout seul :

Guerlaude mé, ménine

— Qu’est-ce qu’il dit ?… écoute…

Il voulait être guerlaudé ; mais que signifiait ce mot patois ? Jean, à tout hasard, allongea le bras et se mit à remuer la lourde couchette ;