Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/92

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Scène X


eustache, seul.

Ma foi ! l’interruption vient à propos : je ne savais plus qu’inventer pour guérir ce grand désespoir… Ëtait-elle charmante ainsi, toute rouge et baignée de larmes, comme une reine-claude à la rosée de trois heures, et n’est-ce pas dommage qu’un si beau fruit porte son ver comme les autres ! Dieu me pardonne ! je crois qu’elle appelle cela un défaut de langue… Non ! certes, ce n’est pas un défaut… c’est un vice, un vice épouvantable, fait pour empoisonner toutes les ivresses du tête-à-tête… Que diantre voulez-vous faire d’une femme qui s’appelle Fuvette, et qui vous appelle Euflafe et qui vous dit ve vous vaime ! À distance et de souvenir, on trouve cela charmant ; cela vous accroche l’oreille, cela chatouille, cela caresse ; mais de prés, dans le tête-à-tête… (En parlant, il s’est allongé dans le fauteuil et se met à bâiller.) Décidément je trouve qu’au lieu d’aller au-devant de la diligence, il eût été plus sage de m’attendre ici, la soupe au chaud, le vin au frais. C’est qu’il est très tard. Voilà le soleil qui commence à dégringoler là-haut de branche en branche… À cette heure-ci, tous mes camarades les étudiants sont déjà sur le cours à jouer au mail pour faire la digestion… Ah ! quand on a bien diné, rien ne vaut une bonne partie de mail, à douze ou quinze joyeux compagnons, entre deux haies de spectateurs, avec de la bière de Beaucaire qu’on boit pendant les entr’actes sur de petites tables vertes. (Tristement, en regardant autour de lui.) Je