Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/227

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le ciel à l’orage, nous levâmes notre ancre, filâmes le câble de celle de L’Étoile, coupâmes un des grelins et filâmes les deux autres, appareillant sous la misaine et les deux huniers pour sortir de la passe de l’est. Nous laissâmes les deux chaloupes pour lever les ancres ; et dès que nous fûmes dehors, j’envoyai les deux canots armés aux ordres du chevalier de Suzannet, enseigne de vaisseau, pour protéger le travail des chaloupes. Nous étions à un quart de lieue au large et nous commencions à nous féliciter d’être heureusement sortis d’un mouillage qui nous avait causé de si vives inquiétudes, lorsque, le vent ayant cessé tout d’un coup, la marée et une grosse lame de l’est commencèrent à nous entraîner sur les récifs sous le vent de la passe. Le pis-aller des naufrages qui nous avaient menacés jusqu’ici avait été de passer nos jours dans une île embellie de tous les dons de la nature, et de changer les douceurs de notre patrie contre une vie paisible et exempte de soins. Mais ici le naufrage se présentait sous un aspect plus cruel ; le vaisseau porté rapidement sur les récifs n’y eût pas résisté deux minutes à la violence de la mer, et quelques-uns des meilleurs nageurs eussent à peine sauvé leur vie. J’avais dès le premier instant du danger rappelé canots et chaloupes pour nous remorquer. Ils arrivèrent au moment, où n’étant pas à plus de cinquante toises du récif, notre situation paraissait désespérée, d’autant qu’il n’y avait pas à mouiller. Une brise de l’ouest, qui s’éleva dans le même instant, nous rendit l’espérance : en effet elle fraîchit peu à peu, et à neuf heures du matin nous étions absolument hors de danger.

Je renvoyai sur-le-champ les bateaux à la recherche des ancres, et je restai à louvoyer pour, les attendre.