Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/346

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une déclaration des motifs de ma relâche, afin qu’elle pût justifier auprès de son supérieur auquel il l’enverrait la conduite qu’il était obligé de tenir en nous recevant ici. Sa demande était juste, et j’y satisfis en lui donnant une déposition signée, dans laquelle je déclarais qu’étant parti des îles Malouines et voulant aller dans l’Inde en passant par la mer du Sud, la mousson contraire et le défaut de vivres nous avaient empêchés de gagner les îles Philippines et forcés de venir chercher au premier port des Moluques des secours indispensables, secours que je le sommais de me donner en vertu du titre le plus respectable, de l’humanité.

Dès ce moment, il n’y eut plus de difficultés ; le résident, en règle vis-à-vis de sa Compagnie, fit contre mauvaise fortune bon cœur, et il nous offrit ce qu’il avait d’un air aussi libre que s’il eût été le maître chez lui. Vers les cinq heures, je descendis à terre avec plusieurs officiers pour lui faire une visite. Malgré le trouble que devait lui causer notre arrivée, il nous reçut à merveille. Il nous offrit même à souper, et certes nous l’acceptâmes. Le spectacle du plaisir et de l’avidité avec lesquels nous le dévorions lui prouva mieux que nos paroles que ce n’était pas sans raison que nous crions à la faim. Tous les Hollandais en étaient en extase, ils n’osaient manger dans la crainte de nous faire tort. Il faut avoir été marin et réduit aux extrémités que nous éprouvions depuis plusieurs mois pour se faire une idée de la sensation que produit la vue de salades et d’un bon souper sur des gens en pareil état. Ce souper fut pour moi un des plus délicieux instants de mes jours, d’autant que j’avais envoyé à bord des vaisseaux de quoi y faire souper tout le monde aussi bien que nous.