Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/103

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extrêmement. Je la transformai tout de suite en fille de bonne maison. Il ne lui resta de sauvage que son horreur pour les chaussures. Quant aux corsets, elle n’en voulut jamais entendre parler.

Un jour, elle s’emporta contre son maître d’écriture et elle l’appela sot animal ; c’était la vérité, mais le maître se fâcha et voulut la battre. Elle lui jeta une écritoire au visage. Voilà des cris, des plaintes et un grand vacarme. Je parvins à garder mon sérieux devant le masque noirci du maître et je grondai très sévèrement. La petite écouta ma réprimande sans oser murmurer, puis elle s’écria tout à coup : Guai a me ! (malheur à moi !) et elle disparut. On la retrouva au bout de vingt-quatre heures, blottie dans le fond d’un grenier, s’imaginant qu’elle pourrait y vivre de rapines sans jamais en redescendre. Cette première incartade me fit réfléchir ; je comprenais que je voulais apprivoiser une hirondelle et la difficulté m’excita davantage à poursuivre l’entreprise.

A treize ans, la beauté d’Antonia s’épanouit subitement comme la fleur d’un cactus. A son air exalté, je devinai que la nature deviendrait bientôt plus puissante en elle que ses faibles principes. Elle ne regardait plus les jeunes gens avec les yeux d’un enfant et, pour la soustraire aux dangers, je l’emmenai avec moi à Sorrente, où je louai une maison sur le bord de la mer. Antonia s’y trouva fort heureuse et put, à son aise, courir pieds nus dans le jardin. Au bout de ce jardin était un bosquet d’orangers, en forme de terrasse et situé au-dessus d’une ruelle où les âniers attachaient leurs ânes. Parmi eux il y avait un jeune garçon d’une figure aimable et dont les filles de Sorrente