Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/104

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étaient fort occupées. On l’appelait Meneghe, par abréviation de Domenico. Les voyageurs qui voulaient traverser la montagne et aller à Amalfi le choisissaient pour guide à cause de son visage honnête, de ses jambes infatigables et de son répertoire de chansonnettes dont il savait tirer parti pour amuser la compagnie pendant le trajet. Il ne possédait au soleil qu’un âne, nourri de l’herbe des chemins, deux caleçons de toile, un bonnet de laine et un antique manteau qui avait servi à ses ancêtres depuis trois générations. Avec cela il était plus heureux que Lucullus, faisait la cour à toutes les jeunes filles et marchait le poing sur la hanche, comme si le roi eût été son cousin.

Antonia s’arrêtait souvent au bosquet d’orangers ; la première fois qu’elle vit Meneghe passer dans le chemin creux, elle cueillit une orange qu’elle lui jeta sur l’épaule, puis elle s’enfuit. Le lendemain, elle recommença le même manège et, au lieu de s’enfuir, elle regarda le petit ânier en riant. Meneghe ôta son bonnet, fit un salut et dit à la signorina :

— Bénie soit la main qui me régale !

Et il se mit à manger l’orange. Ce fruit-là, dont une douzaine vaut trois baïocs à Naples, n’a pour ainsi dira aucun prix à Sorrente. Meneghe eut l’adresse de considérer le présent comme une faveur inestimable. Il assura, dans le style poétique des gens de ce pays, que le suc en était du miele d’amore et il demanda une autre orange.

Vous savez qu’on donne ici aux ânes le nom de cuiccio et au conducteur celui de ciucciaïo ; ce sont des mots comiques prononcés à l’italienne et qui