Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/105

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seraient barbares avec la prononciation française. Tandis qu’Antonella cueillait une seconde orange, Meneghe lui dit :

— Votre excellence m’honore infiniment ; mais si elle veut combler de joie le pauvre ciucciaïo, je la supplie de me mettre l’orange dans la main, comme à un signore cavaliere, au lieu de me la jeter comme à un chien.

En parlant ainsi, l’ânier monta sur une borne d’où il atteignit au sommet du mur. Antonia lui présenta l’orange ; alors Meneghe, saisissant la jeune fille par le bras, la tira fortement et lui appliqua sur les lèvres un baiser sonore et profond.

— Traître, s’écria la petite, tu n’auras plus d’oranges et je te punirai en demandant à la madone de te faire tomber à la conscription.

— Ah ! Malheureux que je suis ! dit le garçon en s’arrachant les cheveux ; je serai donc soldat ! J’irai à la guerre, c’est fini de moi ; je recevrai une balle dans la tête. Hélas ! excellence, ayez pitié du pauvre ciucciaïo.

Et il s’agenouilla dans la poussière en faisant mille contorsions.

— Non, répondit la jeune fille, tu tomberas au sort. La madone m’accorde tout ce que je lui demande et tu as mérité d’être puni.

— Eh bien ! je périrai pour une belle signorina. J’aurai au moins embrassé une personne vêtue comme une princesse et, si elle veut me dire son nom, je la bénirai encore en rendant le dernier soupir.

— Va, tu es un coquin. Je m’appelle Antonia.

— Antonia. Antonia, Antonietta, Antoninetta,