Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/111

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Cette pensée changea mes résolutions. J’envoyai chercher Meneghe ; il arriva, tremblant de tous ses membres comme si on l’eût mené à l’échafaud. Quand je lui annonçai mon intention de lui accorder la main de ma fille, il s’imagina qu’on le mystifiait de la manière la plus cruelle avant de le punir. Cependant sa défiance fut vaincue lorsque je lui mis dans la main une bourse garnie de grosses piastres sonnantes, en lui commandant de revenir, le lendemain matin, propre et vêtu comme un signor, pour sa visite de présentation. Il me répondit avec un calme diplomatique et majestueux qu’il se conformerait à mes ordres et sortit, à reculons, après trois saluts grotesques, en imitant les airs d’un homme comme il faut. Je le vis ensuite, par la fenêtre, bondir dans le chemin, faire la roue et se jeter à plat ventre dans un tas de poussière pour compter son argent.

Meneghe revint le lendemain, vêtu d’un immense habit de jardinier et d’une vieille culotte de velours, chaussé de souliers de peau de buffle jaune, sans bas et coiffé d’un large chapeau de paille, avec une cravate rouge et un gilet à fleurs. Le dormeur éveillé n’était pas plus content lorsqu’il se croyait calife. Dans ce moment Antonia parut. Elle débuta par éclater de rire au nez de son amoureux ; mais l’attendrissement nous prit en le voyant lui-même d’aussi bon cœur que nous.

— Que vos seigneuries ne s’effrayent pas, dit-il, et qu’elles daignent encourager mes premiers essais. Je perdrai mes façons d’ânier et, avec un peu de patience, on me transformera bientôt en gentilhomme.

Antonia se réjouit fort à l’idée de faire l’éducation