Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/114

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folie la tourmentait. Le soir, elle me pria sérieusement de la marier de suite, fût-ce avec un barcarol. Je lui imposai le silence et la menaçai de la mettre au couvent. Il paraît que ce mot de couvent lui inspira une frayeur terrible et qu’on l’entendit gémir et pleurer pendant la nuit. Le lendemain, à l’heure du déjeuner, Antonia ne descendit point. Je l’envoyai appeler ; on vint me dire qu’elle n’était pas dans sa chambre. Mes gens assurèrent qu’ils ne l’avaient pas vue sortir. On trouva enfin une fenêtre du rez-de-chaussée ouverte ; les souliers d’Antonia, déposés au pied de cette fenêtre, éclaircirent me doutes car cette étrange fille saisissait toutes les occasions de courir sans chaussures, avec un habillement de femme du peuple qu’elle avait composé elle-même. Voici ce qui arrivait :

Nous étions au jour de l’Annonciation. Antonia, égarée par la crainte du couvent et l’envie de se marier, s’était souvenue de la cérémonie de l’Annonciade et de ses droits d’enfant trouvé. Elle avait pris la fuite, vêtue de son costume populaire. Par malheur, la Sœur Sant’-Anna n’était pas à l’hospice quand elle y entra. Le cachet de plomb qu’Antonia portait encore à son cou lui servit à se faire reconnaître pour une trovatella. On lui permit de se ranger parmi les filles à marier et, lorsqu’elle parut dans la cour de l’hospice, les épouseurs, frappés de sa beauté, applaudirent en s’écriant :

— Bénie soit la mère qui t’a mise dans la buca !

Tous voulaient avoir la charmante trovatella. Deux garçons lui jetèrent en même temps le mouchoir, l’un barbier à Fuori-di-Grotta, l’autre macaronaro à Portici. Une bataille en serait résultée si on n’eût