Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/116

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Depuis ce jour, Antonia n’a plus connu le désœuvrement, véritable cause de ses fautes. Elle se lève de bon matin, travaille comme une bête de somme et, au bout de deux ans de mariage, elle est enceinte de son troisième enfant. Lorsqu’elle tourmente son mari, les querelles se terminent par des coups ; ces petits orages passagers sont des crises favorables après lesquelles Antonia devient douce comme un agneau. Quant à moi, j’en suis pour mes peines, mes bienfaits et mes frais de tendresse dont la madone n’a pas voulu me récompenser, sans doute, hélas ! parce que je l’aurai offensée de quelque autre manière.

C’est ainsi que la dame napolitaine termina l’histoire de la fille de l’Annonciade.

A la fin du mois de mai, à mon retour de Sicile, je me trouvais un jour pour la seconde fois dans le village de Sorrente et je ne pensais plus à la trovatelle Antonia, ni à son mariage pittoresque. Les âniers me persécutaient avec leurs offres de services. Autant j’aimais cette monture simple parmi les paisibles Siciliens, autant il me répugnait de m’en servir dans les environs de Naples, à cause des procédés impitoyables du ciucciaïo pour le malheureux serviteur qui lui gagne son pain. L’âne est le plus vertueux des domestiques, le plus modeste et le plus résigné ; on le paye de toutes ses belles qualités en l’assommant : on l’accable de besogne et on le laisse mourir de faim. Avec la race de Caïn qui habite la terre, la patience, la douceur et la sobriété ne font qu’attirer les mauvais traitements, les coups et la misère. Ma conscience n’était pas tranquille quand j’avais été cause de quelque iniquité à l’égard d’un