Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/127

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notre sortie du port. A la mise, à la blancheur de la peau et à l’expression un peu froide de la physionomie, il était aisé de la reconnaître pour une Anglaise. Des traits d’une finesse exquise, des cheveux blonds dont le zéphyr de l’Afrique s’amusait à déranger les boucles, une taille de sylphide enveloppée d’un burnous en étoffe légère et je ne sais quoi de transparent et d’aérien répandu dans toute sa personne, faisaient de cette petite miss une créature vraiment poétique. Je m’étonnais de la voir ainsi seule et je lui cherchais une famille parmi les passagers lorsque mon énorme voisin lui cria, dans sa langue :

— Vous ne venez pas vous asseoir, Nancy ?

Miss Nancy répondit qu’elle préférait se promener. La découverte que je venais de faire me donna plus de courage pour causer avec le père sur la supériorité des vins du Portugal et l’excellence de ceux d’Espagne. Cependant, la promenade de la demoiselle ne finissait pas. Heureusement, deux Calabrais, noirs comme des taupes et couchés au milieu des bagages, se mirent à regarder la jeune miss avec un air d’étonnement et d’admiration dont elle s’aperçut.

— Par Bacchus ! s’écria l’un d’eux, elle est gracieuse comme un ange, cette signorina.

— Béni soit le sein qui l’a portée ! s’écria l’autre.

Miss Nancy ne savait pas que l’expression de signorina, qui ressemble à une familiarité, est au contraire un témoignage de respect dans le sud de l’Italie. Elle ne comprit pas non plus que la bénédiction donnée au sein de sa mère était une citation des Psaumes. Le compliment la fit rougir ; elle vint s’asseoir à côté de son père. J’eus alors le plaisir d’apprécier toute la raison et le sens délicat avec lesquels