Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/130

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lorsque je m’aperçus que le battement des roues produisait, dans l’eau, des étincelles phosphoriques. J’en avertis ma voisine qui se leva précipitamment et vint s’appuyer à côté de moi.

— Quel bonheur ! s’écria-t-elle avec une joie enfantine ; que je suis contente d’avoir vu cela !

Nous restâmes accoudés au bord du bateau pendant une demi-heure et la glace se trouva un peu brisée. Nous causâmes longtemps de ce phénomène fort simple. Comme la jeune miss montrait du goût pour la science, nous passâmes des dégagements phosphoriques de l’eau de mer à de questions du même genre et, finalement, à un article publié, depuis peu, dans les journaux français sur la statique des aliénés. Un rapport, présenté à l’Institut, avait donné différentes causes de folie recueillies dans les hôpitaux. A la grande surprise de l’auteur, les femmes n’offraient qu’un cas de folie par amour sur mille sujets environ, tandis que chez les hommes on trouvait un nombre beaucoup plus fort. Le savant docteur, malgré toute la gravité de la science d’Esculape et le peu de propension de l’Institut à la plaisanterie, n’avait pu retenir quelques compliments au beau sexe, sur sa vigueur cérébrale et sur le démenti donné par les chiffres à l’opinion reçue qui accorde, aux femmes, plus de sensibilité qu’aux hommes. Cette déception dans ses recherches l’avait aussi rendu triste et la mélancolie, cette amie particulière des poètes, s’était glissée, pour un instant, dans le palais où règnent l’alambic, le baromètre et le scalpel.

Miss Nancy avait lu l’analyse de ce curieux mémoire. Soit que sa réserve anglaise fût justement effrayée de la tournure que notre conversation pouvait