Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/134

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Charybde, qui devait être aussi connu que son rival, on ne sut pas m’en donner de nouvelles positives. Scylla étant sur la côte de Calabre, le proverbe antique a besoin, pour subsister, que Charybde soit du côté de la Sicile, car il faut qu’en voulant éviter l’un on se jette dans l’autre ; cependant, le vieux timonier du bâtiment assurait que Charybde était auprès de Scylla, sur le même rivage. Je m’adressai à un monsieur qui devait être fort savant puisqu’il avait une grande carte de la Sicile. Ce monsieur ne parlait qu’Allemand. Il nous fut impossible de nous entendre et j’eus la consolation de tomber ainsi de Charybde en Scylla. Comme il arrive souvent, les pilotes et les gens du pays, qui devraient le mieux connaître les localités, ignoraient la chose la plus simple du monde. Si pourtant, comme je le croyais volontiers, le timonier a raison et que les deux écueils soient voisins et non en face l’un de l’autre, la géographie dément, de toute éternité, un proverbe dont on se servira toujours, en dépit d’elle.

C’est un moment pénible que celui d’un débarquement. Chacun se précipite sur ses bagages. Il y a des gens pressés qui heurtent les autres, comme si la terre ferme pouvait leur échapper. Celui à qui on parlait, tout à l’heure, sur le ton de l’intimité, ne vous connaît plus et jette autour de lui des regards farouches en pressant, dans ses bras, un sac de nuit. Au milieu du désordre, miss Nancy garda sa présence d’esprit. Elle descendit dans la dernière barque de transport et cette circonstance, légère en apparence, me confirma dans l’idée que cette jeune fille avait à débattre de trop grands intérêts avec la vie pour s’émouvoir des petites choses.