Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la gloire et la fortune, s’il fut resté dans son pays, il irait encore aux vendanges et ne se serait pas fait vendanger lui-même.

Au balcon de la chambre qu’avait occupée Bellini, était un écriteau où on lisait : « Si loca ». Je rentrai, en songeant à la fin prématurée de cet aimable compositeur et, dans mon attendrissement, je ne pouvais m’empêcher de savoir mauvais goût à miss Nancy de sa voix fausse. C’était une prévention injuste ; elle avait assez de goût pour aimer et sentir la musique ; il n’en faut pas davantage. Le lendemain, qui était le jour de Pâques, nous allâmes écouter l’orgue des Bénédictins ; les voûtes de l’église frémissaient. L’âme de Donato del Piano, voltigeant dans les tubes, ajoutait ses inspirations au faible talent de l’organiste. Les sons étaient si beaux qu’il n’importait guère que le morceau fût bien ou mal choisi. Il m’a toujours semblé que la symphonie et les orgues donnaient une espèce d’ivresse intellectuelle. Si on pense aux personnes qu’on aime, on les aime davantage ; si on se rappelle une circonstance de sa vie, elle vous revient à la mémoire si vivement qu’on ne distingue plus le passé du présent. Les émotions se succèdent rapidement et, quelquefois, elles suivent, par une espèce de logique, la marche du morceau, comme si, dans votre âme, certains sentiments répondaient à chaque modulation harmonique. C’est un état délicieux où on voudrait demeurer longtemps, mais, ordinairement, une fois le calme revenu on se retrouve plus faible qu’auparavant. Miss Nancy était de mon avis et me confessa qu’elle avait été fort remuée par l’orgue des Bénédictins.

— La musique, lui dis-je, n’est pas la seule chose