Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/148

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De grands événements ont souvent de petites causes. Pascal l’a dit dans ses Pensées et quelques philosophes de l’antiquité l’avaient déjà remarqué. Miss Nancy prétexta, le soir, un mal de tête et ne vint pas dîner. Une indisposition de femme peut avoir plusieurs sens différents, comme l’oracle de Delphes. Que celle-ci exprimât la peur, l’hésitation ou la modestie alarmée, j’y répondis par le chagrin et je résolus, dans ma sotte colère, de mettre un départ improvisé en balance avec cette migraine. Je descendis sur la place de l’Eléphant où se tiennent les voiturins, pour m’informer des moyens de faire une excursion à Syracuse. Les seuls modes de transport, de Catane à la capitale de l’ancienne civilisation en Sicile, sont les mulets ou la letiga, à moins qu’on ne préfère se servir de ses jambes, ce qui est l’expédient le plus prudent et le seul vraiment sûr.

N’ayant pas reçu de la nature un appareil locomoteur assez puissant pour entreprendre une course de quarante-sept milles dans un jour, je me déterminai en faveur des mulets. Un étranger, qui voulait aussi partir le lendemain, me proposa de l’accompagner. Il est inutile de dire que c’était encore un Anglais.

On nous éveilla de bon matin. Mon compagnon perdit une heure à lacer ses souliers, une autre à demander du lait chaud. Huit heures sonnaient quand il parut enfin. Le guide nous conduisit, à pied, jusqu’à la porte de la ville, à cause du pavé trop glissant. Aussitôt que le seigneur Anglais fût perché sur sa mule chargée de bagages, il fut saisi d’une frayeur mortelle et déclara qu’il ne pouvait pas aller ainsi. De mon côté, le regret me prenait à la gorge ; je